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Un établissement scolaire portant le nom de Sylvain Dauriac '1894-1969", résistant membre du réseau Brutus, a été inauguré à Toulouse le 1er Mars 2012 en présence de Michel-Jean Floc'h, inspecteur d'Académie et de sa fille Sylvette Gaillard-Dauriac.

 

Eloges funèbres de Pierre Sudreau

Intervention du Ministre de la défense et des anciens combattants
 Cour d'honneur des Invalides, Vendredi 27 Janvier 2012


C'est avec une vive émotion que je prends la parole devant vous, non pas seulement en mon nom personnel et au nom du Président de la République et du gouvernement, non pas seulement au nom de la famille gaulliste aujourd'hui endeuillée, mais au nom de la France toute entière rassemblée pour rendre un dernier hommage à un homme qui croyait à la France et qui a contribué à bâtir son histoire.
Car c'est bien la France et l'idée qu'il s'en faisait qui a guidé Pierre SUDREAU dans tous ses combats, avec éclat et avec force, avec douleur aussi et avec honneur toujours, c'est la France qui l'a guidé dans un destin d'exception.
Orphelin de père dès l'âge de 4 ans, Pierre Sudreau avait trouvé dans une lecture infatigable, une liberté éprouvée, une échappatoire à la "longue désespérance" de son enfance. Et une lecture allait le marquer plus que toute autre et imprégner irrémédiablement son destin : Vol de nuit. Du haut de ses douze ans, très ému par ces pages trempées de volonté et de devoir, il décide de prendre la plume pour écrire à son auteur, Antoine de Saint-Exupéry.
C'est là le commencement d'une longue amitié qui marquera profondément l'enfant puis l'homme, elle marquera aussi l'écrivain qui puisera l'inspiration dans celui qu'il appelait "petit Pierre" pour en faire son "Petit Prince".
Cette maturité précoce, cette conscience de la fragilité de la condition humaine qui affirme sa grandeur dans l'accomplissement d'un devoir explique sans aucun doute l'engagement de vie de cet humaniste.
A l'aune de la Seconde guerre mondiale et à rebours d'une France qui acceptait la soumission terrible de l'occupation, Pierre Sudreau fait le choix d'entrer en résistance. Quand ses camarades de l'école de l'air qu'il fréquente alors, l'enjoignent de rejoindre Londres, il refuse ; pour ne pas abandonner son épouse et son enfant, c'est en France qu'il mènera son combat ; il prendra tous les risques, avec cette fidélité obstinée et simple au devoir qui brûle son être. Dissimulant des armes dès 1940, il trace un an plus tard avec André BOYER, organisateur d'un réseau de renseignement, les grandes lignes d'une structure unique rassemblant les mouvements de résistance, les partis politique et les syndicats, préfigurant le Conseil national de la résistance.
Sûr et droit, lucide dans l'analyse des situations et avec au cœur l'énergie de ceux qui savent servir une cause qui les dépassent, celui qu'on appelait « SILLANS », connu par la Gestapo comme par l'Abwehr, démontre toutes les qualités du chef. A 23 ans, il devient alors le plus jeune chef de la Résistance avec pour mission d'étendre les ramifications du réseau Brutus en zone nord, zone occupée. Avec la patience méticuleuse des hommes de l'ombre, son travail est intense et il est efficace : infiltré comme rédacteur auxiliaire à la Délégation du ministère de l'Intérieur, il informe Londres de nombreux renseignements sur la construction du Mur de l'Atlantique.
Pierre SUDREAU sait que le résultat vaut le risque mais le risque, il en paie bientôt le prix. Arrêté car dénoncé, menacé car démasqué, torturé pour parler, il se tait. Enfermé à la prison de Fresnes six mois durant, très abîmé, il est déporté au camp de concentration de Buchenwald, dans l'horreur et l'indicible. « Cette longue confrontation avec la mort fut en définitive une bonne formation » dira t-il quelques années plus tard, une formation à la révolte de la conscience sans doute, tout entière tournée contre la folie des hommes et qui préfigure son engagement en faveur d'un monde de paix.
C'est bien sa haute idée de la France et par là-même du service de l'Etat qui engage, à l'issue de la guerre, celui que le Général de GAULLE nomme plus jeune préfet de France.
C'est bien cette volonté réformatrice et progressiste qui anime ensuite le ministre de la Construction du général de Gaulle qu'il est devenu : au centre des projets d'urbanisme de Paris et de sa région, il met en chantier le R.E.R. et le périphérique, répond à l'urgente demande de logements sociaux et d'équipements modernes, lance encore le quartier des affaires de La Défense dans l'Ouest parisien.
Ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement de Georges Pompidou, Pierre Sudreau, avec cet éternel esprit de résistance, reste fidèle à ses convictions : en désaccord avec l'homme du 18 juin sur l'élection du président de la République au suffrage universel, il démissionne.
Député du Loir-et-Cher, maire de Blois, président du conseil régional du Centre, ce grand résistant aura dédié sa vie à la France et aux Blésois. Devenu président de la fondation de la résistance, avant que la mémoire ne laisse la place à l'histoire, il aura consacré toute la fin de sa vie à témoigner, transmettre le souffle de la résistance et l'histoire de la déportation, il n'aura eut de cesse de poser des mots sur un esprit et des valeurs destinées à prémunir les générations nouvelles de l'adversité et, pire encore, de l'inconscience.
Pierre SUDREAU en a fait la plus belle démonstration : l'ambition est belle mais la vraie ambition n'est pas celle que l'on s'applique à soi, c'est celle que l'on déploie pour construire. De la Résistance aux portefeuilles ministériels en passant par la députation, il a embrassé avec courage, honneur et exigence toutes les responsabilités.
L'inventeur du spectacle « Son et lumière » dont il était formidablement fier, celui pour qui la musique de Wagner incarnait la civilisation et l'universalité de l'art avait une vision du monde lucide, pacifiste et humaniste. Militant depuis plus de 30 années contre la prolifération des armes nucléaires, pour le rapprochement Nord-Sud et pour la paix au Proche-Orient, Pierre SUDREAU se rappelait certainement cette phrase de Saint-Exupéry qui semble au-delà des années comme écrite à son hommage : "être homme, c'est précisément être responsable. C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on continue à bâtir le monde".
Sans jamais abjurer, sans jamais se renier, sans même jamais y penser, il est resté fidèle à lui-même, fidèle à la France.
Je veux aujourd'hui, devant vous, rappeler quel homme aura été Pierre SUDREAU.
Un homme de devoir et de convictions, petit prince idéaliste et tenace que jamais le temps n'aura privé de son ardeur.
Il aura été un héros, il restera un exemple, il a rejoint les Grands hommes.

 

 Bernard Boyer pour "La lettre de la Résistance"

Juin 1940 : la France demande l'armistice. Elève-officier dans l'armée de l'air, Pierre Sudreau, qui n'a pas eu le temps de se battre, est bien décidé à poursuivre la lutte. Avec d'autres aspirants de la base de Toulouse Blagnac, il est recruté par un autre aviateur, le capitaine Roland Prat, et rejoint, en 1942, le groupe "Froment", service de renseignement de la France Libre créé par Pierre Fourcaud et devenu par la suite le réseau Brutus qui tiendra son nom du pseudo du nouveau chef du réseau, André Boyer. Ce réseau initialement de tendance socialiste s'étoffera en recrutant des patriotes de tous horizon opposés au régime de Vichy et à toute "collaboration" avec les forces nazies, créant une diversité souhaitée par Londres. (....) Pierre Sudreau, dont le pseudo est "Sillans", est envoyé à Paris créer une antenne dans la capitale. Il parvient à trouver un emploi de rédacteur au ministère de l'Intérieur, ce nouveau poste lui permet d'avoir accès à une multitude de rapports confidentiels notamment sur l'organisation Todt et les rampes de lancement des V1 qu'il s'empresse de transmettre à Londres. ..... Arrêté en Novembre 1943 il est transféré au printemps 1944, avec André Boyer et André Clavé, au camp de Royallieu près de Compiègne. avant d'être déportés à Buchenwald où il devient le numéro 52301. (....) . Les conditions dans le camp de concentration sont épouvantables et Pierre Sudreau a raconté cette "politique de l'écrasement" qu'il a subi dans un livre "Au-delà de toutes les frontières". Le 11 Avril 1945, les troupes américaines découvrent et délivrent enfin Buchenwald et Pierre Sudreau, émacié, méconnaissable, figure parmi les survivants.