Témoignage de Léon Achiary

Alias Arnal, Dupuy, Laville
97 boulevard Saint-Saëns, Alger
Recueilli par Mme Patremonio à Alger, le 6 Octobre 1947

Né au pays basque, à Esquiule (Basses-Pyrénées), fils de cheminot, Léon Achiary fait ses études à Rodez, puis à l'école indigène de la Bouzanéa, devint instituteur et termine sa carrière comme directeur de l'école de teinturerie d'Alger. Il prend sa retraite à Toulouse, où il se trouve en 1939.

Il n'entend pas l'appel du général de Gaulle le 18 Juin, mais comme il appartient au Parti Socialiste depuis 1920, cela n'aurait guère dicté son attitude. Il est membre d'une section à Toulouse et dès le début, la résistance à l'oppression politique paraît possible à lui et à ses camarades. La section se camoufle en société sportive, dès Juillet 1940. Quelques-uns commencent leur résistance en faisant opposition au Conseil Municipal de Toulouse qui parle d'envoyer une lettre d'obédience ou d'admiration, peu importe, au Maréchal Pétain. Ce n'est pas qu'ils en pensent un mot, c'est simplement une manœuvre pour assurer leur position. Il n'empêche qu’Achiary trouve cet opportunisme abominable et se dispute à ce propos avec les députés de Toulouse, Bedouce et Berlial ainsi qu'avec David, qui votera "oui" à Vichy comme Esparbes, le député paysan, qui regrettera beaucoup son attitude par la suite.

Les réunions de la section socialiste clandestine n'ont pas de but défini. Rien n'est organisé. Plus tard on diffuse des tracts.
Lorsque les mouvements "Franc-Tireur", "Libération", "Combat", font leur apparition dans la région, chacun des membres de la section s'inscrit à l'un ou l'autre de ces mouvements, au hasard des rencontres, puisque le Parti Socialiste proprement dit est dissous. Chacun pense d'abord à faire son devoir, qui est de lutter contre la double oppression, intérieure et extérieure, sans trop se préoccuper des étiquettes. Cependant, chez certains, la préoccupation politique est à l'arrière-plan. En effet, la guerre finie et la libération arrivée, le régime économique ne sera pas immédiatement transformé pour autant, et le pays se retrouvera dans le même état. Tous ceux qui, comme par le passé, auront à se défendre contre le capitalisme, c'est-à-dire chaque socialiste, doit d'abord faire son devoir, faire partie du réseau qui lui sera le plus commode, pour réserver l'avenir.

C'est ainsi qu'au début de 1941, Achiary entre ne relation avec Eugène Thomas, député du Nord, qui vient à Toulouse faire une causerie au sujet de C.A.S. A partir de ce moment, Achiary et ses camarades diffusent des tracts socialistes, édités par eux, puis des journaux, notamment "Le Populaire", dès le moment où il reparaît.
La distribution du "Populaire" s'effectue avec le secrétaire de la section S.F.I.O. de Toulouse, Desbals, et avec Fernand Coll, Eugène Thomas étant délégué du C.A.S. pour le Sud-Ouest. Ce dernier s'aperçoit que Coll et Desbals y mettent beaucoup de mauvaise volonté, puisque Coll refuse de diffuser le journal qu'il a reçu, ce qui est très mal, lorsqu'on pense à la peine et au danger que son impression représente.Ceci fait que Desbals et Coll sont remerciés par Thomas, qui a toute autorité pour le faire puisque la démocratie est à ce moment en sommeil. Thomas désigne alors Raymond Nave, professeur de lettres à la Faculté de Toulouse, qui devient chef de la région, tandis que Pierre Bourthoumieux, pharmacien, est chef du départemental et Léon Achiary chef local de la section de Toulouse.
Ils sont rapidement en rapport avec d'autres noyaux de résistance "Libérez-Fédérez", en particulier. Bientôt sous l'influence de Nave, qui est pendant des mois l'âme de la résistance à Toulouse, se constitue une fédération des mouvements de résistance, qui rédige des tracts en commun. Achiary se charge de les imprimer, et chacun vient ensuite chercher son lot.

A partir de ce moment, l'action devient régulière. Comme secrétaire de la section S.F.I.O. Achiary a beaucoup de moyens, car la municipalité est entièrement socialiste. Soulignons donc que lui et ses amis agissent dès lors en mouvement autonome de la résistance, fabriquent toutes les cartes d'identités, les certificats de travail, en général tous les faux papiers possibles, qui leur sont fournis, sans trop de difficultés, par la mairie. C'est au point qu'au début de 1943, alors que la délégation du général de Gaulle se trouve à Lyon, on manque là-bas de cartes d'alimentation et Daniel Mayer, secrétaire général du P.S. vient en personne à Toulouse pour avoir des feuillets semestriels. Ils sont si bien pourvus à Lyon que les feuillets semestriels qui leur arrivent de Londres sont simplement d'une autre couleur.

D'autre part, v assure à Toulouse et dans les régions la distribution du "Populaire", tout en s'occupant de la rédaction, l'impression et la diffusion d'autres journaux : "Le Midi Socialiste" et "Le Lot Résistant". Également, depuis le début de 1943, il fait imprimer "L'Espoir", journal de Marseille dont Defferre lui fait parvenir la copie tous les mois. Un agent, Malacrida, actuellement membre du Comité Directeur du Parti Socialiste vient le rechercher et n'hésite pas à voiturer ses 40Kgs d'imprimés.

C'est par "L'Espoir" qu’Achiary apprend le rôle joué par son fils dans les événements d'Afrique du Nord. Boyer lui apporte un article sur la relation du 8 Novembre, qu'il imprime. Plus tard, ayant réalisé que l'exposé du rôle du fils, sous son nom pouvait créer des difficultés au père, Boyer vient s'excuser, assez confus, mais il n'y eu pas d'ennuis.

Achiary s'occupe en même temps de passage en Espagne. Ils ont deux filières, l'une par Foix, avec Peyrevidal, qui fut fusillé, l'autre par Saint-Girons, avec Desjean, un avocat (parmi les évasions dont il s'occupe, figure celle de Malafosse).
Au même moment, et en même temps que cette activité, il collabore au réseau "Brutus". Déjà le réseau avait une organisation à Toulouse, dont font partie des membres du P.S. qui prête un des locaux et des hommes, d'autant plus volontiers qu'Eugène Thomas, chef socialiste pour le Sud-Ouest, devint également à ce moment, chef régional du réseau "Froment".

Les avatars du réseau sont curieux. Crée dès la fin 1940 par le commandant Fourcaud, il s'appelle alors "Lucas". Après quelques mois, le frère du Commandant, le capitaine Fourcaud, en reprend la direction et lui donne le nom de "Froment". Puis c'est Thomas qui remplace Fourcaud.

Dans la région de Toulouse, Agen, les Basses-Pyrénées, la direction échoit à Martin, dit Morel, dit Nollet, secrétaire administratif de la fédération Socialiste de Marseille, membre du P.S. et ami personnel de Thomas, embauché depuis Lille. À noter que le réseau, constitué au début par des gens indubitablement de droite, passe entièrement par la suite du fait d'arrestations successives, entre les mains de gens de gauche, en majorité socialistes.

"Froment" est un service de renseignement, collationnant toutes espèces d'informations, aussi bien militaires qu'économiques ou politiques. Avec un ami, Lucien Beret, chef du bureau de tri de la gare de Toulouse, Achiary constitue un groupe qui arrête toutes les lettres suspectes, les lit et en fait son profit, pour prévenir les gens menacés ou pour parer aux coups durs lorsque ce sont des circulaires de Vichy menaçant la résistance. Comme les circulaires sont généralement en double, Achiary a la sienne avant le Préfet. On retient le plus grand nombre de lettres adressés aux militaires allemands, aux gendarmes allemands. Cette action se double par celle entreprise au bureau central de Toulouse P.T.T., où Hyon est en cheville avec Achiary et lui fait remettre les lettres l'intéressant, tout bonnement par le facteur. Au début on prévient les gens menacés un peu trop directement, cela amène à Hyon des complications dont il se tire à peu près, mais lui vaut, par la suite, des démêlés avec les S.O.L..

Ses collaborateurs immédiats, outre sa femme, sont Miquel, responsable des prisonniers de guerre rapatriés, qui est actuellement secrétaire général adjoint à la mairie de Toulouse, AT représentant de la cartoucherie, Chaubert (mort), Vergnaud, employé à la mairie, Delpech, secrétaire général à la mairie, Gros, le beau-frère de Madame Vincent Auriol, industriel à Toulouse, et naturellement aussi Beret.
Beret et Achiary ont également chez eux, un poste émetteur manipulé par Pitou, qui les dénonce au début d'Octobre 1943 pour de l'argent. Un matin, la Gestapo se présente chez Beret. Torturé pendant 8 jours, il meurt sans avoir parlé, on l'emmène devant le directeur de l'hôpital qui refuse le permis d'inhumer avec indignation. Le malheureux a des plaies à toutes les jointures, le crâne a demi écrasé, etc...

Le 8 Octobre au matin, cinq hommes de la Gestapo se présentent chez Achiary pour l'arrêter comme ils ont arrêté Beret. Il est encore au lit et sa femme aussi. Ils sont revenus la veille d'un séjour à la montagne, mais ils sont arrivés tard et le voisinage ne s'est pas aperçu de leur retour. Mme Achiary avait pris la précaution de tout refermer, y compris le compteur électrique. Comme la sonnette ne marchait pas, les Boches secouent la grille et appellent. M. et Mme Achiary comprennent et font les morts. Les Boches essayent d'ouvrir, et n'y parvenant pas, interpellent quelqu'un qui passe. Achiary n'entend pas la réponse, mais présume que le voisin à dû dire qu'ils n'étaient pas là. Les Allemands repartent et immédiatement Achiary et sa femme, qui a toujours été sa collaboratrice directe, se lèvent et filent. Heureusement, car, comme il le sut par la suite, les Allemands reviennent dix minutes après pour établir une surveillance dans la maison. Il se rend par la suite à son bureau pour détruire tous papiers compromettants, faux cachets, exemplaires de journaux en attente, etc… Le lendemain la perquisition ne donne rien.

Après leur évasion Achiary et sa femme sont dans la nature. Thomas a été également arrêté et remplacé à la tête du réseau par un avocat de Marseille, André Boyer, c'est à ce moment qu'il prend le nom de "Brutus". Boyer est doublé par son alter ego, Defferre. Achiary va rejoindre Boyer, un de ses amis, à Lyon. Boyer et Defferre reviennent alors de Londres, où ils ont pris des contacts avec Passy et le B.C.R.A. Puis tout le monde va se fixer à Paris. Ils arrivent dans la capitale le 8 Novembre 1943). Il vient d'y avoir là une série d'arrestations dans le réseau, dont celle de Sudreau (de la D.G.E.R.), de Clavé, de Bernard, dit Balzac.
Après un peu de temps, des fuites s'étant produites, dans leur entourage vraisemblablement, d'autres arrestations se produisent, dont celle de Boyer, de Michel Bauer et de plusieurs autres. Il ne reste plus qu'Achiary, le fils de Jules Moch, Raymond Moch et Defferre.On a des preuves de l'identité du délateur, car tous ceux qui sont en prison s'arrangent pour faire parvenir des messages dénonçant Blanc, alias Cosinus, Carre de son vrai nom, d'origine Tchécoslovaque.

Donc, trois agents seulement restent en contact. Raymond Moch se montre absolument admirable, un des rares Juifs ordinairement courageux qu'il fut donné à Achiary de connaître, avec Daniel Mayer. Lorsque Defferre prend la direction du réseau Achiary devient son adjoint, tandis que Raymond Moch fait la navette dans toute la France.

D'après les instructions données par Londres, la France est divisée en deux zones, Nord et Sud. Pour la zone Nord, le chef est Martin, qui s'est échappé des mains de la Gestapo, dans la gare même de Toulouse, amené dans une pièce de la Petite Vitesse, son interrogatoire débute à peine qu'il bondit sur la porte et s'échappe, essuyant des coups de feu. Pour la zone Sud, le chef est Bloch, un médecin de Sassenage, près de Grenoble.

Defferre coiffe les deux zones, chacune étant divisée en : "région Parisienne, Nord, Est, etc…" et couvrant à peu près l'ensemble du territoire.

Dés son entrée en fonctions, il doit régler deux incidents d'ordre intérieur. Tout d'abord le sort du traître. C'est le frère de Bauer, du M.L.N. qui revendique l'honneur de l'abattre, pour venger son frère. L'affaire traîne un peu, parce que Bauer n'a pas beaucoup de moyens, Defferre et Achiary trouvent que cela devient dangereux, car ils se trouvent un jour, un à un avec Blanc. Un groupe de combat est créé et Blanc est exécuté en pleine avenue du Maine, à Paris à 1h de l'après-midi…. On a cent certitudes de sa culpabilité. Le second souci est celui de dissimuler Piétri, dit Perrin, un camarade agent de liaison qui s'est évadé du train qui l'emmenait en Allemagne (début 44). À Compiègne, il réussit à se procurer un instrument pointu, et avec 3 camarades Corses comme lui, ils se jettent du train sans trop connaître la technique. Piétri se relève plusieurs heures après sa chute dans un triste état. Deux des camarades sont morts, seul le quatrième n'a rien.
L'activité du réseau se poursuit tant bien que mal. Les alertes se multiplient, on sent que la fin approche. C'est aussi l'époque où le B.C.R.A. envoie un certain Greco pour coordonner l'action des réseaux. Tout continue à fonctionner en liaison avec Greco.

En Avril – Mai, le M.N.L. s'étant désarticulé, est en vue la bataille de la Libération, Defferre doit quitter Paris pour Marseille, pour organiser des maquis. Achiary reste donc seul, en liaison avec Greco. Le 2 Juillet 1944, ce dernier se fait prendre à Châteauroux avec tout ce qu'il avait sur lui, le courrier départ. Il a été prévenu que le filet se resserrait, mais il n'a pas changé pour cela son point de chute. Il provoque ainsi la catastrophe. Sa tenue est magnifique.

Alerté par des absences aux rendez-vous, Achiary prévient toutes les boîtes aux lettres. Il voudrait que sa femme se mette à l'abri, mais elle refuse obstinément. Dans la nuit du 4 au 5 Juillet 1944, après une alerte, il est avec elle dans le grand immeuble de l'avenue Félix Faure qu'ils habitent à l'époque. Il est cinq heure du matin. On frappe à la porte. Mme Achiary se lève et demande :"qui est là ?" – on répond "concierge". Elle ne reconnaît pas la voix, revient vers son mari et tous deux s'habillent en hâte, pendant que les coups redoublent et que la voix déclare maintenant : "Ouvrez, police française …" puis, "police allemande". Pendant qu'on va chercher une barre de fer pour faire sauter la porte de chêne qui résiste, Achiary file par les toits. Malheureusement sa femme ne peut pas le suivre. Elle tient tête aux Allemands, qui fouillent partout, puis l'emmènent. A partir de ce moment, on n'a plus rien su d'elle.

La même nuit, l'équipe Vedel est arrêtée. C'est une filature générale qui a probablement amené ce dernier coup dur. Dans le groupe Vedel, une Tahitienne du nom de Povo Marenko, est revenue. Comme elle a été torturée, passée à la baignoire, il est à redouter que Mme Achiary n'ait subi le même sort.

Après cela, Achiary se trouve absolument seul pour faire marcher le réseau. Comme il n'a plus de fonds, il demande de l'argent au trésorier de la délégation de Gaulle,"X", qu'il rencontre par l'intermédiaire de Robert Lacoste. Assez mal reçu au début, tout s'arrange après un repas dont Achiary a gardé un mauvais souvenir, car son interlocuteur, arrivé très tard au restaurant, l'oblige à faire une longue marche après le couvre-feu de l'Opéra au quartier du Jardin des Plantes, chez Mme Gall, 10 rue Quatrefages, refuge qu'il s'est trouvé depuis les coups durs. Il reçoit quelques fonds quand même, de quoi alimenter quelque temps le réseau Est.

On arrive ainsi à la Libération de Paris, journées pendant lesquelles, il s'intègre au groupe de la 4° section de "Libé-Nord". Vergnolle a abrité pendant longtemps ses papiers les plus importants.

Quelques mots sur le réseau en général. Tout le monde travaillait dans une haute atmosphère morale, se ressaisissant de façon magnifique après chaque catastrophe. Pitou et Blanc n'ont pas été recrutés par eux, ni ne faisaient parti du P.S.

Léon Achiary est un homme de plus de soixante ans, petit, très alerte, aux cheveux gris et aux traits restés jeunes. Il respire la bonté et l'enthousiasme idéaliste.

Vieux militant socialiste, il a toutes les qualités de cette vieille garde si honnête et si convaincue.

Personnes à voir de la part de Léon Achiary
Colonel Fourcaud, 18 avenue Georges Mandel à Paris
Mlle Christine Duclos (qui a travaillé depuis le début avec Fourcaud, et qui est par conséquent d'opinion de droite) 2 Bld. Suchet à Paris par elle on pourra toucher le colonel Fourcaud.
Eugène Thomas, Gaston Defferre, Gros, Vergnaud, Delpech, Miquel (Mairie de Toulouse).
At et Elbaz, maîtres ouvriers à la cartoucherie
Jean Dauriac, Assurances Sociales, rue du Poids de l'Huile à Toulouse