Témoignage de Jean-Maurice Hermann (pseudo Herlin)
Rédacteur au journal "Libération",
6 Bld. Poissonnière, Paris
Recueilli par Mme Granet, le 22 Février 1949
Journaliste avant la guerre de 1939 au "Populaire", J.M. Hermann fut mobilisé au 155éme régiment d'Infanterie, blessé gravement le 13 Juin dans la "charnière", fait prisonnier et libéré à l'automne de 1940 comme blessé grave.
Le train qui l'emmena, après sa blessure, vers l'hôpital mit 12 jours à arriver à Bourbonne-les-bains : il était en plein dans les lignes de feu, les gares étaient bombardées, les voies interrompues… Les employés de chemin de fer transportaient dans les trains les rails et les boulons et rétablissaient les voies pour que le train des blessés pût passer. On entendait des combats de tous côtés, les avions passaient continuellement, le train devait être mis à l'écart des bombardements, etc… C'est dans ce train que J.M. Hermann entendit parler et de la fin des désastres et de l'armistice demandée par Pétain et aussi de la position du général de Gaulle. Il sut ainsi qu'à Londres, de Gaulle entouré d'un certain nombre de Français continuait la lutte. Il se souvient de l'impression violente qu'il ressentit à la vue du premier uniforme allemand qu'il perçut : c'était près de Bourbonne-les-Bains, un gros officier allemand, qui avait d'ailleurs, l'air assez gêné lui aussi…
L'hôpital où on le soigne était un hôpital mixte où étaient soignés Français et Allemands et à personnel surtout français. Le moral de l'hôpital était bon. Tout le monde était anti-allemand, sauf un lieutenant-colonel. Le maréchal de Luciane qui avait un élevage de chevaux de courses et semblait fait pour être caricaturé par "le Canard Enchaîné" ! A l'hôpital il y avait dans le grenier un poste de radio (au médecin-major Cdt Pal), qui donnait des nouvelles. Les Allemands permirent d'abord l'affichage d'un bulletin d'information, puis l'interdirent après l'échec de la bataille aérienne au-dessus de Londres. Mais les nouvelles furent alors transmises verbalement, et, en particulier, celles de la B.B.C. C'est ainsi que les blessés furent au courant de ce qui se passait, des incidents de Dakar, etc…Quelques évasions se produisirent, facilitées par l'attitude de la population lorraine, très patriote. En outre, des faux papiers furent fabriqués qui aidèrent les blessés guéris à rentrer chez eux.
J.M. Hermann lui-même fut libéré à l'automne et pût aider quelques camarades à s'évader. Lui-même avait conservé précieusement, en vue d'une évasion, une boîte de pâté et une fiole de cognac. Il n'eut pas besoin de s'en servir, car sa blessure grave lui permit d'être réformé, et par conséquent, d'obtenir un ausweis pour aller rejoindre sa famille en Dordogne. Il a, depuis qu'il connaît la formation du comité français de Londres, l'idée de rejoindre de Gaulle en Angleterre. Un industriel, qu'il avait connu à l'hôpital, Rosmangin et qui s'était évadé, le met alors en relation avec le frère de son associé Doornick qui s'occupe de résistance. Hermann est décidé à travailler avec lui dès qu'il sera guéri. Il est réformé le 5 Février 1941 et guéri à cette époque. Il prévient alors Rosmangin, mais Doornick vient d'être arrêté (il travaillait avec d'Estienne d'Orves) et il fut fusillé peu de temps après.
"France combattante" et première arrestation :
Hermann va alors à Marseille où il a une filière; il fait
des démarches de divers côtés : il voit Fraye qui s'occupe
d'un "comité d'aide aux réfugiés politiques",
et pense à partir pour l'Égypte, la Syrie, etc. …Il voit
aussi le consul clandestin de Tchécoslovaquie qui fait passer une lettre
à Londres, mais il perd le contact. Enfin, il rencontre Pierre Viénot
qui habite Cannes et qui est en rapport avec la France Combattante. Il entre
ainsi en rapport avec Pierre Berteaux et accepte de l'aider à monter
à Toulouse une organisation de la France Combattante, avec Cassou, Marcel
Vanhove, Nitti, Bernard (qui était socialiste et avait été
aux Brigades Internationales en Espagne). En été 1941, le groupe
reçut un parachutage (matériel de sabotage, explosifs), près
de Toulouse. En Décembre des parachutistes, des radios. Ils pensent à
installer une succursale à Agen. Un jeune radio imprudent est pris, parle
et réussit d'ailleurs à s'évader ? Mais Bernard est arrêté
lui aussi. Et ce garçon qui s'était si bien conduit en Espagne
ne sut pas se taire et raconte tout ce qu'il savait.
Il s'ensuivit un nombre énorme d'arrestations, Hermann, etc… et la dislocation du groupe. Ils avaient été arrêtés par la police de surveillance du territoire. Ils se rendirent compte, lors des interrogatoires, que la police ne savait pas grand-chose de précis. Le commissaire de police fut lui-même très aimable et ils avaient bon espoir. Malheureusement, de Vichy, arrivèrent des ordres formels : ils devaient rester en prison. Alors le préfet régional de Toulouse, Chenaux de Leiritz, prit, en vertu de ses pouvoirs discrétionnaires un arrêté de "mise en résidence forcée" à la prison de militaire de Toulouse. Cassou, Vanhove sont mis en liberté provisoire. On la refuse à Hermann malgré ses blessures, sa citation, ses trois enfants. On le laisse dans le vieux donjon de la prison militaire, un donjon moyenâgeux, avec des murs si épais qu'on n'y voyait guère, des voûtes, des portes cloutées, etc. un vrai donjon de cinéma, qui n'avait pas l'air vrai, mais où Hermann était très mal, et aussi très mal nourri. Darlan accorde aux prisonniers le statut politique (droit de recevoir des livres, des colis, des lettres), mais Laval supprime tout cela et il est remis au secret. Il pense alors à s'évader, soit pendant les promenades, soit en perçant le plafond de sa tour et en gagnant les toits. Grâce à l'aumônier, il reçut des outils et commença le travail. En même temps, les prisonniers reçurent, en pièces détachées, un poste de T.S.F. Puis ils apprennent que leur procès va être jugé en Juillet 1942. Ils décident donc de ne pas s'évader, ce qui aurait sûrement pour contrecoup de l'arrestation de deux de leurs camarades qui sont en liberté provisoire, et compromettent leurs chances au procès s'ils ne réussissent pas. Et, de plus, au cas où ils seraient repris, ils savent qu'un nouveau jugement leur serait encore plus défavorable, car les lois de répression sont de plus en plus dures.
Le tribunal militaire, après deux jours de débats, acquitte Hermann à cause de ses services de guerre, blessures, etc. Ses camarades ont des peines de prison (Cassou, Berteaux, etc.) Bernard, qui s'est rétracté, car il a compris l'étendue de sa faute, est condamné aux travaux forcés. Il alla cependant voir sa femme qui était fort malade, en Dordogne. Quelques jours après, il apprend qu'on le recherche à Toulouse, que sa mise en résidence forcée est transformée en "internement administratif".
Il ne tient pas à aller dans un camp et quitte son domicile à temps. Lorsque les gendarmes arrivent, ils ne le trouvent pas;
Réseau Brutus : Il retourne alors à Marseille, cherche à reprendre le contact avec Londres et à partir en Angleterre. Mais il n'y parvient pas. Il remonte à Lyon au début de l'hiver 1942-43 et y reste toute l'année 1943. Il travaille alors avec Georges Bidault au "Bulletin de la France Combattante", travail qui lu plait beaucoup, puisqu'il est journaliste. Et il s'émerveille que ce bulletin ait pu sortir si régulièrement et donner un texte si abondant. Il collabore aussi au "Populaire" clandestin. Il rencontre alors Defferre, Boyer et Copeau qui lui demandent de se joindre à eux. Hermann préfère aller dans le réseau Brutus, plutôt que de s'occuper du journal de Copeau, car il pense alors qu'il convient de combattre aussi militairement qu'on le peut puisqu'on est en guerre. Defferre lui confie la zone Sud. Il établit son P.C. à Lyon et centralise tout le courrier de la zone sud. Il en assure la réception, le tri, le codage, etc. et la réexpédition à Londres par avion. Le courrier était très abondant, les renseignements très variés (S.N.C.F., aérodromes, mur de l'Atlantique, troupes et transports de troupes, usines, fabrications de guerre, etc…) Quand Defferre et Boyer partirent en Angleterre, ils lui confièrent la direction nationale du réseau. Quand Boyer revint (pendant que Defferre allait en Algérie), Hermann garda encore la direction du réseau, car Boyer se consacra à l'organisation du mouvement "France au Combat", qui devait permettre au mouvement d'être représenté au C.N.R. Il avait des rapports fréquents avec le réseau AJAX qui était très actif, très efficace, très bien organisé et fournissait régulièrement des renseignements sur les arrestations prévues, les rapports de police, etc….
Arrestation : Il continua ce travail jusqu'au 10 Mai 1943, jour où il fut arrêté par la Gestapo, au cours d'un voyage qu'il fit avec Pierre Sudreau.
Il venait en effet régulièrement à Paris toutes les semaines parce qu'il faisait parti d'un comité qui préparait la réorganisation de la Presse après la guerre. Il était journaliste et s'était toujours intéressé au journalisme : à Toulouse, il avait écrit dans "Libérez, Fédérez"; il avait collaboré au "Populaire Clandestin", et aussi au journal "l'Espoir", de Defferre qui était le journal socialiste du Midi. En particulier, au moment des affaires Giraud, il avait fait une campagne violente contre Giraud. Avant la guerre, il était secrétaire général du syndicat de la Presse. Il pensait à la manière dont il faudrait réorganiser la Presse, lui donner un statut. Il avait beaucoup parlé de cela, à Lyon, avec Moulin et Bidault. Il avait même fait, en Janvier 1943, un rapport sur ce sujet qu'il avait donné à Bidault. Une commission pour établir un statut de la Presse fut réunie sous la présidence de Tristan (Teitgen) et un projet de loi fut même élaboré. Puis, après une interruption, l'affaire fut reprise en Septembre 1943. La commission fut transportée à Paris, placée sous les auspices du C.N.R. et présidée par Parodi. Elle se réunissait toutes les semaines et on y faisait du bon travail. A cette commission, participaient, outre Hermann, Bidault, Francisque Gay, Rollin, Guignebert, Grenesse, etc …On y fit l'inventaire des imprimeries, des stocks de papier, on décida comment se ferait la répartition aux journaux, on prépara leur parution lors de la Libération et aussi le statut de la Presse auquel Hermann tenait beaucoup, mais qui, malheureusement, n'a pas été fait. Hermann reconnaît que pour ce qui est de la parution des journaux à la Libération, pour la prise de la radio, ainsi que pour l'expropriation des anciens journaux collaborateurs, tout s'est fait très vite et très bien.
Hermann était très heureux de venir chaque semaine à Paris pour s'occuper de ce travail : c'était pour lui un véritable délassement. Mais c'est au cours d'un de ces séjours à Paris qu'il fut pris. Il devait justement avoir avec Boyer et Sudreau, une réunion avec le C.N.R. pour l'homologation de "France au Combat". Il déjeune avec Boyer et Sudreau. Le rendez-vous avec le C.N.R. était à 4 heures. Il avait sur lui quelques papiers concernant "France au Combat". Comme Sudreau avait un rendez-vous avec un des agents de Brutus, Xavier Angly, avenue de Wagram, Hermann l'accompagna, parce qu'Angly avait besoin d'être encouragé. En effet, c'était un Alsacien assez nerveux, qui, au début de l'occupation, avait fait quelques fautes, mais qui s'était efforcé de se racheter par la suite. Il avait fait pour Brutus du très bon travail, en particulier le relevé de toute la côte méditerranéenne, avec les défenses allemandes. Comme il parlait très bien l'allemand (il était Alsacien), le réseau l'avait fait entrer dans l'organisation Todt ; il avait le grade de lieutenant et il inspectait les chantiers du "mur de l'Atlantique" pour organiser les loisirs des ouvriers. Sa première mission l'avait mené dans le Nord et il avait pu visiter toute la région des fortifications de Boulogne, Calais, Cap Gris-Nez. Il en avait ramené un relevé très complet de la région, mais il fut arrêté dans sa chambre d'hôtel et pris avec toutes ses notes, et il ne vint naturellement pas au rendez-vous.
Mais les Allemands y vinrent, ils suivirent Sudreau toute l'Avenue des Champs Elysées sans oser l'arrêter, de peur d'incidents sans doute. Avec les Allemands se trouvait un Allemand qui avait prétendu être membre du mouvement "Résistance" qui venait d'être décapité et qui était rentré en contact avec Sudreau. Mais ils entourèrent le café où était le rendez-vous. Ils étaient 14 Allemands et Corses (qui faisaient parti d'une bande corse, plutôt ennemie de celle de Bony), quelques uns se précipitèrent vers la table et leur mirent des revolvers sous le nez, tandis qu'un autre avec une mitraillette se tenait sur le trottoir et que d'autres encore occupaient le trottoir en face. … Puis deux voitures noires arrivèrent. On fit monter Hermann et Sudreau, chacun dans une voiture, yeux bandés, menottes aux mains. On les emmena à Boulogne. Là ils furent interrogés et assez maltraités. On laissa Hermann sur un lit-cage, les mains attachées. Il pensait avec regret qu'il avait, peu de temps auparavant accepté, après avoir beaucoup hésité, d'aller à Alger (sur les instances de Bingen qui considérait comme dangereux de le laisser en France, puisqu'il avait déjà été arrêté), comme membre de la consultative.
Hermann et Sudreau se rendent compte assez vite que le réseau a été vendu par un agent double, Blanc (Cosinus) qui était depuis longtemps dans la résistance, faisait parti de plusieurs réseaux et fit tomber, un mois après, Boyer dans un guet-apens.
Sudreau essaya de prévenir les camarades du réseau en réussissant à envoyer par quelqu'un qui sortait de Fresnes, un papier, où entre autres choses, il écrivait "Cosinus – traître", mais cet avertissement ne fut pas recopié, donc ne fut pas connu de ses camarades. Cependant au cours de l'hiver 1943-44, Blanc fut abattu en sortant d'un restaurant, avenue du Maine. Il paraîtrait qu'avant de mourir à l'hôpital, il aurait demandé que l'on prévienne un autre réseau qu'il avait aussi dénoncé.
Les Allemands de Boulogne emmenèrent leurs prisonniers Boulevard de Montmorency où ils restèrent huit jours, toujours attachés, gardés par des auxiliaires de la Gestapo. Mais ils ne furent pas maltraités car on avait interdit de chercher à savoir l'identité des prisonniers et la raison de leur arrestation. Aussi pensaient-ils qu'ils étaient des prisonniers de choix. En fait, les Allemands espéraient que Sudreau qui était au Ministère de l'Intérieur pourrait travailler pour eux. Un officier de la Gestapo dit à Sudreau : "je ne vous interroge pas, je vais vous dire ce que nous savons". Et il lui dit tout ce que la Gestapo savait de leur organisation. Sudreau put ainsi se convaincre qu'ils savaient, en effet, beaucoup de choses mais dans un secteur très déterminé, et que cela venait uniquement de Cosinus.
On les emmena ensuite à Fresnes. Ils ne furent jamais jugés. Ils partirent de Fresnes en Avril. Hermann fut envoyé à Neuengamm, mis en commando à Wattenstedt, près de Hanovre. Les Allemands évacuèrent le camp à cause de l'avance Américaine jusqu'à Ravensbruck que les femmes venaient de quitter devant l'avance russe ! Hermann parvint à s'évader, fut recueilli par les Russes qui le remirent plus tard aux Américains. Il revint le 25 Mai et fut membre de l'Assemblée Consultative. Il a été très malade en déportation et a failli mourir.
Boyer envoyé à Dora mourut au cours d'un bombardement.
J-M Hermann nous conseille de voir :
Pierre Sudreau, Directeur du personnel de la Sûreté Nationale, Ministère de l'Intérieur
Corval (de l'Aube)
Marcus (demander son adresse à Moranda).