Gaston Defferre, Chef du réseau Brutus

Combattant de la première heure, sa lutte clandestine a été soutenue par son idéal et son espérance de liberté

Il parlait souvent de la Résistance, mais, sauf en privé auprès de ses compagnons, ceux qui l'avaient côtoyé, connu, fréquenté à cette époque là, il parlait très peu de sa résistance à lui, de son passé de Résistant, de sa vie et de ses actions clandestines.

C'est que la Résistance était pour lui l'expression d'une règle morale qui ne supportait pas, maintenant plus que pendant la guerre, de concession ni d'interprétation.

La Résistance était à ses yeux le symbole de la lutte pour la Liberté, pour la restauration de la Patrie et enfin et enfin pour le respect et le retour de l'idéal démocratique et républicain, triple sentiment qui fut son fil conducteur de son adhésion au parti socialiste à sa vie politique et qui explique qu'il ait été ce qu'on peut appeler sans conteste, un Résistant de la première heure.
Il parlait souvent de la Résistance parce qu'il tenait par dessus tout à ce qu'elle demeure une leçon pour tout le monde, pour les jeunes générations qui ne doivent pas oublier ses causes, à ce qu'elle reste aussi un avertissement à l'égard de ceux qui menaceraient à nouveaux ses idéaux : l'exemple de la Résistance devait en permanence s'opposer au totalitarisme, au racisme, à l'intolérance.

Il n'en faisait pas un culte, mais il en respectait le souvenir, avec sa vigilance coutumière et seules des circonstances insurmontables auraient pu le dissuader de venir au Plan d'Aups, haut lieu des Milices Socialistes qu'il avait fondées, à Signes, démonstration de la barbarie nazie, au fort Saint Nicolas, souvenir de la Libération de Marseille, à des commémorations qui perpétuaient au delà de la mémoire des morts, l'esprit de la Résistance.

Ses débuts avec André Boyer

Esprit qu'il incarnait et qui allait loin. Pierre Sudreau qui nous rappelait avec émotion que ces premiers jours de Mai 80 marquaient exactement 45 ans d'amitié avec Gaston Defferre, nous disait que c'était justement,dès Mai 1941, que Boyer, Defferre, Fourcaud et lui, lançaient cette idée encore vague d'une entité résistante, d'une sorte de conseil, dont il est sur maintenant qu'elle engendra plus tard la formation du Conseil National de la Résistance.
Elle était donc née à Marseille, au sein de ce groupe minuscule issu de ce qui restait, après la débâcle, du parti socialiste qu'André Boyer tentera bientôt de faire revivre.

Figure étonnante de la Résistance marseillaise, Boyer périra en Allemagne, déporté à Buchenwald puis à Dora. On ne connaîtra son sort qu'en 1945. Mais dès Janvier 1941, ce Résistant immédiat se trouve déjà à la tête d'un réseau, installé officiellement par les frères Fourcaud, officiers arrivés de Londres pour guider la Résistance naissante.

Fils d'un médecin marseillais, Boyer est avocat. C'est dans la salle des pas perdus du Palais de Justice qu'il donne ses rendez vous secrets et là qu'il rencontre Yvon Morandat en Février 1942, et qu'il lui présente son adjoint, quelqu'un d'encore inconnu : Gaston Defferre.
Ce dernier est, lui aussi un jeune avocat. Il connaît André Boyer depuis le stage du b Barreau de 1931 qu'ils ont fait ensemble. Ce sont des amis de longue date. Intellectuel cultivé, humaniste, un peu perdu dans ses idées, homme de gauche mais peu engagé, André Boyer s'est lancé dans la Résistance alors qu'elle ne semblait guère faite pour lui. Il y révèlera une énergie insoupçonnable et une hauteur de vues qui en font d'emblée un chef.
"Il était spontané, dis de lui Pierre Sudreau, mais toujours très réservé".

Apparence qui cachait un homme d'action prêt à tout pour la Résistance, déterminé.
De premiers de résistance venaient de donner naissance au célèbre réseau "Brutus", celui qui se chargeait des transports pour Londres en "Lysander", celui dont André Boyer est le chef. .Ainsi, comme son adjoint direct, Gaston Defferre a-t-il d'emblée des responsabilités. Mais seuls quelques intimes le savent. Et quand, le 12 Novembre 1942, les Allemands envahissent la zone libre, il entre dans la clandestinité sous le pseudonyme de "Denvers".

A partir de cet instant, sa vie échappe à l'historien sauf dans ses grandes lignes. Il se déplace énormément. Il participe à des coups de main et s'évanouit aussitôt pour reparaître ailleurs, à Lyon, PC de l'organisation Brutus, à Paris, pour des réunions clandestines du parti à Marseille, à Toulouse.

A Toulouse où se déroule l'une des rares anecdotes connues du combat de l'ombre. Il fallait faire évader Malafosse, résistant indispensable, arrêté, emprisonné. Ils arrivent à quatre, dont Boyer et Defferre. Déguisé en gendarmes, ils pénètrent dans la prison avec un faux mandat d'amener. Boyer est resté dans la voiture, une traction-avant. Comme ils n'avaient que trois pantalons bleu pour quatre, ils ont pensé que la veste suffirait bau chauffeur assis au volant. Boyer est inquiet. Le démarreur est en panne et il ne faut pas que le moteur cale. Mais les faux gendarmes ont déjà passé les menottes à Malafosse, le sortent de prison, le pousse dans la voiture qui démarre .

La vie de clandestin de Gaston Defferre, c'était ça. Mais aussi autre chose, toujours l'idéal

A Londres et à Alger devant de Gaulle.

En Septembre 1943, André Boyer et Gaston Defferre partent pour Londres. Beaucoup y restèrent pour faire autre chose, eux non ! Boyer regagne la France quelques jours plus tard. Defferre passe par Alger. Il y rencontre Félix Gouin, avocat, ancien député socialiste des Bouches-du-Rhône, qui tente de le retenir pour qu'il siège à l'Assemblée consultative. Refus ! Sa place est dans la Résistance en France. Gaston Defferre ne repartira cependant pas sans avoir, lui, Résistant respectueux du rôle joué par le général de Gaulle, dit en face au général Giraud son fait : il ne supporte pas que la France Libre puisse être divisée et Giraud doit se soumettre. On apprit ainsi à connaître cette franchise abrupte qui resta constante chez lui, mais qui séduisit de Gaulle que Defferre rencontra peu après, à la villa des Glycines.

L'année 1943. se terminera dramatiquement, difficilement. Pierre Sudreau, Herman, responsables socialistes de la zone sud, sont arrêtés en Novembre. Boyer l'est à son tour en Décembre. Les Allemands recherchent fébrilement "Denvers" dont ils ignorent toujours la véritable identité (Gaston Defferre sera amené un peu plus tard à troquer ce nom pour celui de "Massereau"). Denvers leur file constamment dans les doigts avec autant d'habileté que de chance, y compris sur le coup d'une opération clandestine de l'appendicite, affection inopinée et mal venue. Defferre amaigri, affaibli, déjà méconnaissable, se laisse pousser la barbe et ne cède pas.

Espérer et reconstruire

C'est à lui qu'il incombe de recoller les morceaux du réseau Brutus décapité. Il en devient le chef mais il ne s'en contente pas. Il pense à la Libération de Marseille qu'il lui tarde de vivre. Avec ses amis marseillais, résistants de toujours comme Horace Manicacci, les frères Trompette, Rossi qui ira plastifier le siège du PPF de Sabiant.

Mais plus encore, Gaston Defferre travaille à la reconstruction du parti. Il est membre du Comité directeur, assiste aux réunions clandestines où il rencontre "Lionel", Francis Leenhardt, avec lequel il préparera et conduira la Libération de Marseille, Massenet, l'un des résistants les plus anciens qui doit occuper la Préfecture. A eux trois, ils forment l'État Major de la Résistance marseillaise, mandatés par le gouvernement provisoire.

C'est l'époque où, au sein de la Résistance, Gaston Defferre, chef de réseau, s'affirme comme chef politique, celui qui après la Libération, contribua avec force à la restauration des instances publiques. Gaston Defferre était sévère pour "la trahison, la collaboration, la délation, les profits illicites et immoraux" qui avaient entravé la Résistance qu'il ne concevait que comme une affaire essentiellement nationale. Il le dit dans un des rares textes qu'il a lui-même consacré à cette période : sa préface à : "La Libération de Marseille" de Pierre Guiral, où il exprime parfaitement ses sentiments, ses misères du moment, ses exaltations. C'est un témoignage direct irremplaçable.

Gaston Defferre aura été soutenu pendant tout l'épisode de la Résistance par une immense espérance dans un renouveau politique qui ne se réalisera qu'en partie. Il marqua son regret mais non une déception. Et sa vie montra par la suite avec quelle constance il a poursuivi les idéaux nés en 1941.

Jean Travers


L'allocution de Jacques Chaban-Delmas


Demain au Palais-Bourbon le député des Bouches-du-Rhône et Maire de Marseille recevra à l'Assemblée Nationale l'hommage qui lui est dû. Aujourd'hui, celui qui est célébré c'est le camarade de la Résistance et pas n'importe lequel. La défaite de 1940 consommée. Léon Blum emprisonné confie à Daniel Mayer le soin de reconstituer le Parti Socialiste qui vient littéralement d'exploser sous le choc de Vichy. Daniel Mayer se met au travail. D'abord avec André Blumel et Henri Ribière.

Durant l'hiver de 1940 à 1941 il recense des éléments sûrs, Gaston Defferre apparaît immédiatement comme Felix Gouin et Eugène Thomas. Il s'agit de constituer un parti politique d'inspiration socialiste et d'esprit de résistance tant à l'ennemi qu'au régime en place afin de retenir prêt pour l'action publique ouverte dès que celle ci, dans la France libérée est rendu à elle même sera possible, il faudra surtout élaborer un programme qui tient en un mot.: démocratie sociale, ou mieux encore démocratie socialiste. Ce texte du comité d'action socialiste de zone occupée vaut naturellement pour le regroupement qui s'opère en zone sud auquel apporte son dynamisme militant.

Il faut rappeler d'un mot qu'en ce temps-là, la dénonciation menaçait, l'arrestation à chaque pas était au coin de la rue avec son cortège hideux qui finissait sous les balles du peloton d'exécution ou aux fours crématoires des camps de la mort. Gaston Defferre était très au fait de ces périls et il se mouvait parmi eux avec son ardeur coutumière. Étant allé à Londres, puis à Alger en Septembre 1943, il avait refusé d'y rester et d'y devenir membre de l'Assemblée consultative comme le souhaitaient Félix Gouin et André le Troquer. Il veut revenir en France occupée et y poursuivre l'aventure engagée dans le réseau Brutus dont la centrale est à Lyon et qui est placée sous la direction d'André Boyer avec Pierre Sudreau et lui-même pour adjoint.
Des groupes de combat et de sabotages sont constitués, les groupes Veni qui opéreront jusqu'à la libération de Marseille.

Précisément il s'agit de préparer la libération de Marseille et la libération d'une aussi grande ville posait des problèmes pour éviter qu'elle ne s'accompagnât de destruction ou d'hécatombe. Sur place Gaston Defferre joint les forces de Brutus qu'il commande depuis l'arrestation d'André Boyer en Décembre 1943, à celle du M.L.N. le Mouvement de Libération National dirigé par Francis Leenhardt.

Gaston Defferre forme des milices socialistes. Avec le mois d'Août et le débarquement de la première armée à Saint Tropez, les approches de la Libération se précisent.

Le 21 l'insurrection est déclenchée. Le 23, Monsabert arrive et ses premiers éléments sont accueillis par Gaston Defferre qui s'installe à la Mairie après avoir pris la Préfecture avec Francis Leenhardt. Michel Debré inlassable organisateur clandestin, chargé par de Gaulle de mettre en place les autorités civiles pour le jour de la Libération, avait, en effet donné son accord à la désignation de Gaston Defferre comme Maire de Marseille, désignation toute naturelle au regard, non seulement des capacités hors du commun de l'homme, mais aussi de la somme des risques pris et des dangers conjurés par lui.

Ainsi va commencer son roman d'amour avec Marseille, la grande et belle cité phocéenne, depuis vingt siècles l'orgueil de tous, ce roman, après des épisodes multiples et divers ne cessera que Mercredi dernier.

Quant à moi, quand à nous plutôt, nous n'avions pas eu l'occasion de travailler ensemble sous l'occupation, mais chacun savait ce qu'il en était de l'autre. Au premier regard, au premier serrement de main, cordiale et loyale, nous sûmes qu'après avoir été frères d'armes, nous serions ami. C'est ce qu'il advint. Dans la vie publique nos routes se séparèrent, se rejoignirent, se séparèrent encore, mais rien n'y fit, assurément parce que c'était lui, parce que c'était moi.
Qu'il me soit permis Gaston de te dire adieu et aussi de prier le Seigneur pour que dans ton éternité tu puisses constater qu'il en aura bien été pour toi sur la terre comme au ciel.