Groupe VENY

Rapport du colonel Collignon "Veny"
Rédigé en Juillet 1944 et transmis par M. Mirouze

1° Historique.

Aussitôt après l'armistice, le général de Gaulle avait envoyé en mission en France, un de ses officiers, le capitaine Froment, pour traiter diverses questions et en particulier organiser un service de renseignements correspondant exactement avec le 2ème bureau de son E.M.
Cet organisme qui a rendu d'importants services et en particulier a pu fournir des renseignements que l'I.S. ne réussissait pas à fournir au gouvernement anglais.
Ces renseignements communiqués au gouvernement anglais ont servi dans une large mesure à consolider la position du général de Gaulle.
Dans le courant de l'année 1942, le groupe Froment reçut l'ordre de former un groupement d'action paramilitaire.
Je fus chargé d'organiser ce groupement qui portait le nom "d'Action du Groupe Froment".

Je me mis à l'oeuvre, aidé en ce qui concernait la prospection par le député socialiste Eugène Thomas, aujourd'hui prisonnier des Boches, et par les responsables du parti socialiste reconstitué.
En Novembre 1942, des groupes de l'Action du groupe Froment existaient dans 28 départements de la zone Sud répartis en quatre régions : Marseille, Lyon, Toulouse, Limoges.
A ce moment, je reçus l'ordre d'intégrer mes groupes dans l'Armée Secrète en constitution dans la zone Sud, sous les ordres du général Vidal.
Cette armée secrète était placée sous les ordres d'un Comité de Coordination présidé par Régis (nommé par le général de Gaulle) et comprenant un représentant de "Combat" (Fresnay), de "Libération" (d'Astier de la Vigerie) et de "Franc-Tireur" (mouvement ne comptant qu'un nombre infime de membres).
Le 7 Décembre eut lieu à Lyon, une réunion présidée par Régis, assisté d'une personne parachutée de Londres et du coté des groupes Froment : Bremond (M° Boyer, aujourd'hui arrêté), Danvers (M° Defferre) Thomas et moi-même.

Sur demande, j'exposai la situation des groupes paramilitaires du groupe Froment. Il fut décidé que j'entrerai en relations avec le général Vidal pour réaliser l'intégration de mes groupes dans l'A.S. Mais, il fut demandé que le groupe Froment ait un représentant au Comité de Coordination.
Régis fit une violente opposition à cette proposition, ne se basant sur ce que la majorité des éléments paramilitaires du groupe Froment appartenait au groupe socialiste reconstitué et que ce parti ne devait pas revivre dans la France de demain, les seuls partis politiques appelés à se prononcer sur les destinées du pays étant : "Combat", "Libération", "Franc-Tireur".
Il fut néanmoins décidé, après une longue et pénible discussion que l'affaire serait soumise au général de Gaulle.
En attendant, et conformément aux ordres reçus, je procédais à la fusion de mes groupes dans l'A.S.
Malgré les graves difficultés soulevées par les représentants de Combat et de Libération, je parvins à réaliser la fusion.
En Mars 1943, c'était chose faite.
L'importance de mes effectifs avait permis de faire désigner les chefs de l'action des groupes Froment comme chefs de région A.S. (Toulouse) ou comme chefs A.S. de départements.

Mes chefs de région, de département et moi-même, bien qu'ayant agi en toute sincérité et en toute loyauté, se sont néanmoins heurtés à une opposition systématique de la part des affiliés à Combat ou à Libération, qui constituaient, aux échelons région et département des Comités de Coordination dont nous étions exclus.
J'avais moi-même été nommé par le général Vidal, inspecteur général de l'A.S. en zone Sud et confirmé dans ces fonctions le 3 Mars 1943 par Fresnay, commandant provisoire de l'A.S. en l'absence du général Vidal.

Pratiquement l'on s'arrangea pour me mettre dans l'impossibilité de remplir ma mission et chaque fois qu'un des chefs A.S. provenant de mes groupes se trouva dans l'obligation de prendre le maquis on le remplaça d'autorité par un membre de Combat ou de Libération.
L'arrestation du général Vidal par la Gestapo fit tomber l'A.S. en décrépitude et les comités de coordination devinrent les M.U.R. (Mouvements Unis de Résistance) dont nous étions exclus. Avec l'aide de Boyer et de Defferre, je reformais mes troupes qui à ce moment prirent le nom des groupes Veny, Veny étant mon nom de guerre.
J'insiste tout particulièrement sur ce que je n'ai jamais prescrit cette dénomination et que c'est simplement la volonté des résistants et l'usage qui l'a fait prévaloir.
En Septembre 1943, Boyer et Defferre partirent à Londres et à Alger. Ils obtinrent que l'ensemble du groupe Froment, renseignements, action (groupe Veny) et prospection (très diminuée), soit reconnus comme mouvement de Résistance sous le nom de "France au Combat" (F.A.C.).
Ils firent part de cette décision à une réunion qui se tint à Lyon et qui comprenait mes chefs de région et leurs adjoints civils, puis ils passèrent en dehors de moi des accords avec les M.U.R.
Sur ces entrefaites, Boyer fut arrêté et Danvers continua seul à diriger la barque.
Il me convoqua à Paris en Février et en Mars 1943 avec Bourthoumieux.

Les conditions imposées par Thuillier, se disant chef de la zone Sud du Comité d'action, étaient les suivantes :
1° Pas de représentants de la F.A.C. aux M.U.R. régionaux et départementaux, parce que, paraît-il, étaient prises (?)
2° Intégration complète des groupes paramilitaires Veny dans C.F.L. par la base et sans tenir compte des unités déjà constituées. Les chefs Veny n'étant employés que si les chefs C.F.I. déjà en place consentaient à leur donner un emploi, sinon, ils n'avaient qu'à rentrer chez eux, après trois années de résistance dangereuses.
Je refusai de souscrire à de pareilles conditions qui eussent révolté et mes cadres et mes hommes.
Le seul avantage de la F.A.C. était d'avoir servi de tremplin à Danvers pour se faire nommer Maire de Marseille à la Libération.
Je dois ajouter que Bourthoumieux, qui, au début, était emballé par les F.A.C. approuva mon refus quand il fut au courant des conditions imposées.

2° La situation actuelle :

A ma rentrée de Paris, je n'en continuai pas moins à travailler pour la Résistance. Les groupes Veny, bien que fortement éprouvés par les arrestations de la Gestapo, existaient toujours et, grâce à l'appui d'une mission anglaise, pouvaient vivre et s'armer.
J'ai précisé, dans une note ci-jointe, mes rapports avec cette mission.
Elle n'a d'autre objet que de me fournir des armes et des fonds et par contre, je ne suis tenu qu’à attaquer certains objectifs d'ordre militaire qu'elle me désigne et qui sont indiqués par l'E.M. interallié.

Elle ne dépend pas de l'I.S. et il est formellement entendu qu'une fois le boche parti, elle ne s'occupe en aucune façon de questions d'ordre politique.
Néanmoins, j'ai toujours eu à cœur d'obtenir l'intégration des groupes Veny dans les Forces Françaises de l'Intérieur.
A cet effet, j'ai eu le 15 Juin dernier un long entretien avec le colonel Berger qui s'est efforcé d'obtenir cette intégration comme je le demandai, c’est-à-dire en unités constituées.
Un télégramme de l'E.M. interallié parvenu le 24 Juin à la mission anglaise de la région de Toulouse, a prescrit que les groupes Veny entreraient directement dans les F.F.I. Toutefois, le mot Veny n'y figure pas et le texte anglais ne porte que " your people", c'est à dire "vos gens", subséquemment les groupes avec lesquels vous travaillez.
Une explication demandée n'a abouti qu'à la confirmation du même texte télégraphique.
Le 22 Juillet, je suis parti en auto avec le colonel Berger, le capitaine H.B.M. Georges pour le Tarn afin d'y rencontrer Ravanel, chef F.F.I. de la région de Toulouse. Ravanel n'est pas venu au rendez-vous.

Avant mon départ, j'avais discuté avec Georges, chef F.T.P.F. du Lot, la possibilité de l'entrée des groupes Veny du Lot dans les F.T.P.F. en conservant la dénomination Veny. Cette entrée bne devait se faire qu'après une réunion des chefs de départements, des chefs de secteurs et quelques anciens résistants du Lot avec les chefs F.T.P.F.
Les décisions prises au cours de cette discussion devant faire l'objet d'une déclaration commune écrite te dûment signée.
Certaines personnes mal renseignées et aussi mal intentionnées ont déclanchés immédiatement une levée de boucliers contre moi, parlant de réunir un congrès départemental du parti socialiste, ce qui ne paraissait pas opportun au moment où toutes les troupes se trouvaient engagées dans la guérilla pour empêcher les boches de passer.
Les absents ont toujours tort et à mon retour du Tarn, j'appris qu'il m'était indispensable de devenir F.F.I. l'on préférait le devenir comme C.F.L. que comme F.T.P.
Le 27 Juillet à 21 heures, je rencontrais enfin Ravanel et, me conformant à ce que l'on prétendais être le désir unanime des membres du groupe, j'optai pour les C.F.L.
Ravanel, chef régional C.F.L. et chef régional F.F.I. prit donc ma décision en conséquence. Mais ces conditions n'ont satisfait personne.
Beaucoup de camarades sont venus me trouver et m'ont demandé de reprendre la discussion avec les F.T.P.F.
Ce que j'ai fait.

Je dois ajouter pour être parfaitement exact qu'un nouveau télégramme fut envoyé à Londres pour demander que les groupes Veny soient placés sous les ordres directs du général Koenig.
J'ignore quelle sera la réponse à ce télégramme;, mais j'estime que les groupes Veny ne peuvent pas et ne doivent pas être F.F.I. en dehors des cadres départementaux et régionaux.

3° Coup d'œil sur l'avenir immédiat.

Si les opérations militaires continuent au rythme actuel, on peut espérer que d'ici 12 à 15 jours, les boches auront évacué la zone Sud.
Nous, les résistants, nous aurons alors à organiser et à administrer le pays libéré et à mettre en place les éléments nécessaires avant l'arrivée des troupes d'occupation anglo-américaines, sinon la France sera réduite pour un temps indéterminé, mais sûrement fort long, à l'état de pays de protectorat et peut être encore moins.
Lorsque j'ai commencé à organiser les groupes Veny, j'avais fixé trois buts à atteindre :

1° Chasser les boches
2° Détruire le mouvement Pétain
3° Fonder la 4ème République

Le premier point à été réalisé par un accord de tous les groupements, cet accord ne durera pas pour la réalisation des deux autres.
En effet, les tendances politiques des groupements composant les F.F.I sont nettement indiqués :
C.F.L. : majorité d'anciens adhérents à la Cagoule et à l'Action Française, dans l'ensemble anti–pétainistes, à cause de la collaboration, mais adversaires résolus de la république.
ORA ou A.R. : plutôt pétainistes, sûrement anti-républicains, ces deux mouvements relèvent du Comité des Forges et de la haute finance, ils forment l'Armée blanche.
F.T.P.F. : relèvent du Front national, groupement qui réunit tous les républicains depuis Louis Marin qui en est le président, jusqu'à l'extrême gauche, véritable Armée populaire.
Un choc semble donc inévitable si, dès maintenant, tous les vrais républicains ne s'unissent pas étroitement pour l'empêcher.
C'est cette union des volontés républicaines que j'estime indispensable. Elle permettra de montrer la force pour éviter d'avoir à s'en servir.
Dans cette affaire, que deviendraient les groupes Veny ?
C.F.L. : ils vont avoir à combattre leurs frères du prolétariat en compagnies des blancs de l'A.S. de la Corrèze.
Isolés, ils se retrouveront désorganisés, impuissants ou alors se rejoindront puisqu'ils sont à base socialiste, aux F.T.P.F. mais avec un retard qui sera certainement préjudiciable à la cause commune.

Donc, ne vaut-il pas mieux dès maintenant faire cette fusion, avec des conditions avantageuses quoi sont proposées ?
A se mieux connaître on apprendra à mieux s'estimer et la France et la République n'en seront que mieux servies. Il ne faut pas qu'une deuxième fois on puisse essayer de blesser mortellement la France, pour être plus sûr de tuer la République.

Fin Juillet 1944
Le colonel Veny
Commandant des troupes