Témoignage de Gaston Defferre

Vu par Mme Merlat le 5 Juillet 1946, au Provençal, 3 rue Caumartin à Paris

Originaire de Nîmes, avocat à Marseille depuis 1931, Gaston Defferre y était aussi secrétaire de la Xéme section socialiste avant la guerre. Il avait été absolument anti-Munichois en 1938. Mobilisé pendant "la drôle de guerre", il fut rendu "à la vie civile", le 27 Juillet 1940. Il avait été dès Juin, tout à fait hostile à l'armistice et, aussitôt rentré à Marseille, avait même pensé à rejoindre de Gaulle. Il était donc allé voir le consul d'Angleterre à Nice en vue de chercher un moyen de passer en Angleterre, mais avait échoué. Il ne lui restait plus qu'à retrouver les gens susceptibles de penser comme lui.

Recherche de contacts à Marseille (1940 - 1941)
Il revit tout de suite des socialistes : Maniccaci, qui devait devenir plus tard responsable du parti pour Marseille et Trompette. D'autre part, il prenait contact avec un de ses amis, non socialiste qui était déjà en rapport avec Londres. En effet, Nouveau qui plus tard devait diriger un important réseau britannique s'occupait déjà de faire partir par l'Espagne des soldats et des pilotes anglais restés ou tombés en France. Dès l'été 1940, Defferre travailla épisodiquement avec le groupe Nouveau.

Defferre fut à partir de la même époque en contact très étroit avec un homme qui allait deVenir son meilleur ami, l'avocat André Boyer (mort en déportation). Il se mit entièrement d'accord avec lui pour une action commune.

En Septembre - Octobre 1940, Boyer fut touché par un officier du S.R. parachuté de Londres, envoyé par de Gaulle, le capitaine, aujourd'hui Colonel Fourcaud (alias Nick et Froment). Cet officier devait poser les bases d'un S.R. qu'on désigna quelque temps sous l'indicatif de Froment et qui devint plus tard le réseau BRUTUS. Fourcaud lui-même fut arrêté par Vichy en 1941. Au bout de quelque mois.Il s'évada et, par le réseau de Nouveau, pu s'embarquer au Canet, plage de Perpignan, et regagner l'Angleterre. Pendant son emprisonnement et son absence, le responsable national de son S.R. était son frère cadet Boris.

Constitution du P.S. en zone Sud: En 1940-41, Defferre prit aussitôt de nombreux contacts avec des socialistes en vue de refaire l'armature du P.S. décimé par l'effondrement de la plupart de ses parlementaires. Il s'agissait de toucher ceux qui avaient voté contre Pétain. Defferre vit souvent Félix Gouin. Celui-ci fut un des premiers membres du Comité Directeur de zone Sud et, tous les Mardis, tenait chez lui des réunions où assistaient : Eugène Thomas, député du Nord replié à Marseille, Suzanne Buisson, Pierre Lambert, Coeydas et Defferre lui-même.

Liaison P.S. - Réseau Froment : Pour établir une liaison entre Londres et les premiers éléments du P.S. clandestin, on songe à se servir du réseau Froment. Il fallait donc établir le contact entre Gouinet Fourcaud. Defferre s'en chargea. Le P.S. avait déjà de solides bases dans la région Marseillaise, où socialistes et sympathisants constituèrent toujours le gros des troupes de la Résistance. D'autre part, pour donner une base solide au réseau qui était encore assez peu étoffé on eu l'idée d'utiliser les camarades du parti. Thomas devint donc permanent à la fois pour le parti et pour le réseau. Il voyagea beaucoup à travers la zone Sud, de Marseille à Nîmes, Montpellier, Nice, Toulouse, P.S. & S.R. se superposèrent donc dans ces deux régions.

On commença aussi très vite à organiser des groupes de combats. Le premier chef en fut un certain capitaine Robert qui devait faire preuve en 1942 de tant d'esprit d'à propos, au cours de négociations dont on l'avait chargé avec le général Giraud, qu'on du le chasser et le faire sortir de France par l'Espagne.

Son successeur fut un colonel de la Légion, cousin de Fourcaud, nommé Vincent et beaucoup plus connu sous le nom de "Veni"(il est aujourd'hui, parait-il, un membre du P.C.).(Groupes Veni qui battaient les campagnes du Lot en 1944). Il fallut d'ailleurs se débarrasser de Veni qui était un parfait aventurier.

Le réseau faisait ses émissions clandestines dès 1941.Il eut de nombreux postes émetteurs à Marseille et dans la région; aussi les premières manifestations patriotiques de la région furent-elles immédiatement connues de Londres qui pu en faire le récit le même soir à la B.B.C. Londres diffusa par exemple la manifestation qui eut lieu en Mars ou Avril 1941, lors de l'entrée en guerre de la Yougoslavie. Le P.S. avait voulu aussi organiser quelque chose pour le 14 Juillet (1940 ou 1941 ?). Gouinavait fait imprimer des papillons, appelant la population à manifester. Defferre et quelques autres les avaient collés ; mais ce fut un échec.

Liaison P.S. et C.G.T. – Contacts avec les autres groupes de zone Sud (1942).
Defferre avait été chargé par le Comité directeur de la zone Sud de se mettre en relation avec Léon Jouhaux, alors en résidence forcée à Cahors ou à Montauban. On voulait faire partir Jouhaux pour l'Angleterre. Defferre arriva chez Jouhaux qui le reçut d'abord assez mal, puis peu à peu, mis en confiance, les choses s'arrangèrent et Defferre descendit chez lui à chaque voyage. C'était vers le moment (Avril - Mai 1942) où Gouinpartit pour Londres.

On en était à l'époque de la propagande pour la relève, au début du S.T.O. Il fallait déjà rechercher des planques à la campagne pour les jeunes qui ne voulaient pas aller en Allemagne. On recevait pour cela un peu d'argent de Londres, mais en quantité insuffisante; alors que le mot était pas encore employé, il y avait là, la préfiguration des premiers maquis, mais cela ne marcha pas.

En 1941 – 1942, Boyer avait eu des contacts avec d'Astier, Frenay et Jean Moulin.
En Avril 1942, Boyer représenta le groupe à une réunion qui se tint à Toulouse et au cours de laquelle on envisageait pour la première fois, les modalités d'une fusion.

Il y retrouva : Pineau, Morandat, Moulin, Frenay, d'Astier. Mais l'affaire tourna court.
Boyer voyait assez souvent d'Astier qui, logé chez un Russe à Nice, jouait les grands seigneurs ; il voyait aussi, ainsi que Defferre, assez souvent Pineau qui ne manquait pas d'ambitions. Au début de 1943, Pineau avait son projet de fusion, et il en fit part à Defferre. Voyant l'extension qu'avait prise la Résistance et le parti qu'on pouvait en tirer plus tard, il voulait dès ce moment, coiffer celle-ci par une sorte de triumvirat où il mènerait le jeu. Les partenaires eussent été d'Astier (?) et Defferre. Celui-ci, pressenti, repoussa la proposition qui lui était faite.

En Novembre 1942, Defferre fit la connaissance de Manuel. Celui-ci avait été envoyé en mission par le B.C.R.A. deux mois plus tôt. Il était déjà venu à Marseille en Septembre, mais Defferre ne l'avait pas vu. Lorsqu'il le vit Manuel venait chercher Massigli.

À la fin de 1942, après l'entrée des Allemands en zone Sud, tous furent rapidement brûlés ; des camarades du groupe avaient été peu de temps auparavant arrêtés à Paris et, parmi eux, un Grec du nom de Nouveau. Ce dernier avait été en Mars 1942, interrogé sur Defferre et sur Boyer. Le danger était donc certain pour eux. Ils décidèrent donc de rester prudent quelque temps ; les choses se gâtèrent en Décembre, pendant les fêtes de Noël, les Allemands vinrent pour arrêter Defferre à son bureau. C'était un Dimanche matin, il n'y était pas.Averti aussitôt, il pu filer, à la même époque Boyer et Boris Fourcaud gagnèrent Londres en avion.

Le réseau BRUTUS quitte Marseille (Janvier 1943)
En Janvier 1943, Boyer se rendit à Londres pour reVenir à la lune suivante (mi-Janvier). Defferre reprit contact avec lui à Béziers chez Pierre Malafosse.

Defferre connaissait Malafosse depuis Août 1940, où il avait été amené à son bureau par Boyer parce qu'il voulait alors essayer de partir pour l'Angleterre. Comme Defferre n'avait pu lui en donner les moyens, il était resté à Béziers, où il avait vite fait partie de Combat, peu après, il était devenu le correspondant du réseau FromentBRUTUS à Béziers. C'est chez lui que Boyer se rendit directement lorsqu'il rentra de Londres. Defferre était alors revenu à Marseille, malgré le danger ; il n'y resta guère, puisque à la fin du mois de Janvier 1943, ,il eut la preuve qu'il était filé, et Thomas eut la confirmation que les suiveurs étaient de la Gestapo. Tous décidèrent donc de quitter Marseille. Durant l'absence de Boyer, Defferre était devenu le responsable national de BRUTUS. Il y avait eu tant d'allées et venues à son bureau qu'il était difficile que la police ne s'aperçût de rien. C'est à cette époque qu'il vit en particulier Anglauer, fondateur du réseau AJAX. Note que ce réseau ne fut pas fondé par Peretti, personnage assez médiocre qui fut repassé à AJAX par BRUTUS.

Après avoir quitté Marseille, Defferre et ses compagnons essayèrent de transférer le siège de BRUTUS à Lyon et le secrétariat général à Grenoble. Les co-directeurs étaient alors Defferre et Boyer.Le responsable du courrier était Bloch, dit Blond, qui sût se planquer pour éviter les coups et qui avait à son service des agents pour assurer la liaison entre Lyon, Grenoble et les succursales qui en 1943 couvraient toute la France. Le réseau disposait alors de 12 postes émetteurs et recevait de fréquents parachutages d'armes accompagné de café, tabac .... Defferre était à cette époque 5 ou 6 jours par semaine dans les trains.


Travail avec le P.S. (fin 1942 – 1943). La Résistance socialiste.
À la fin de 1942, Defferre devint membre suppléant au comité directeur de zone Sud. La Résistance fut essentiellement socialiste à Marseille, car le P.S. y prit une forme combative dès le début, si bien que ceux qui voulaient agir n'avaient nul besoin d'aller vers les autres mouvements, dont les effectifs furent squelettiques. Les groupes Marseillais, chargés des attentats, des sabotages étaient en liaison avec les cheminots. Le groupe le plus important de Marseille à côté du P.S., était COMBAT avec Bertin – Chevance, "brave idiot" avec des idées extravagantes et sans le moindre sens politique. Ce fut le P.S. qui conçut et organisa la manifestation du 14 Juillet 1942 ; celle-ci rappelle les beaux jours de 1936 : 200 à 300.000 personnes défilèrent dans les rues. On en transmit le compte-rendu le jour même à Londres et Schumann le passa intégralement, ce qui fit sur la population un effet énorme. Place de la Bourse, un membre du P.P.F. tira, tuant un homme. On décida de faire une nouvelle manifestation au cimetière, laquelle fut annoncée par la B.B.C. La police fit interdire de publier la date des funérailles. On délégua donc un étudiant en médecine, muni de fleurs et d'argent, auprès de la famille et l'on s'entendit avec celle-ci sur l'heure de l'enterrement, de sorte que la foule résistante se trouva là, malgré les efforts de la police.
Témoignage de Gaston Defferre
Complément au témoignage recueilli par Mme Merlat et recueilli par Mme Granet en Janvier 1949.

.... À partir de 1942, ce réseau devint un gros réseau, recevant de très nombreux renseignements et envoyant un énorme courrier, (plusieurs kilos de papiers, de gros sacs) tous les mois, (à chaque lune) à Londres, soit par opérations aériennes, soit par opérations maritimes (mais jamais par l'Espagne). Londres, à plusieurs reprises, envoya au réseau des félicitations pour son activité qui permit des bombardements fructueux (par exemple celui de la base sous-marine de Marseille). Le réseau avait reçu des postes émetteurs (jusqu'à 7 ou 8) et des radios, malheureusement très inégaux et dont certains n'étaient pas à la hauteur de la tâche qu'on attendait d'eux – ni au point de vue du courage, ni au point de vue de la compétence. Il est vrai que ce métier était très dangereux, qu'il le devint de plus en plus, au fur et à mesure que les Allemands perfectionnèrent leur dépistage par gonio et qu'il fallait parfois émettre pendant 40 ou 45 minutes, quelquefois même une heure (car on était parfois longtemps avant d'obtenir le contact avec Londres), alors qu'au bout de 25 minutes, l'émission était dangereuse et plusieurs radios furent ainsi arrêtés. Aussi Boyer et Defferre durent-ils parfois assister aux émissions; quelques-unes eurent lieu en pleine ville (par exemple Avenue Victor Hugo).

La besogne était si complexe qu'il fallut, en 1943, créer un secrétariat administratif qui préparait le courrier (Londres donnait des directives pour le classement, par catégories, des différents renseignements, sur papiers de couleurs différentes, etc.).

Ce fut plutôt Boyer et Fourcaud qui s'occupèrent des émissions. L'une malgré le péril – eut lieu dans l'appartement même de Boyer. Defferre s'occupe, dans cette première période de l'occupation, surtout du P.S. Mais à partir d'Avril 1942, il s'en occupe très activement. À cette époque, il apprend que la police Allemande est avertie de leur activité. En effet, un Grec, client de Defferre est arrêté à Paris par les Allemands. Il est fouillé. On trouve dans ses papiers une lettre de Defferre se rapportant à son métier d'avocat. À plusieurs reprises on interroge ce Grec et on lui demande s'il connaît Defferre et Boyer. On lui dit que ce sont deux gaullistes et que s'ils sont pris, ils seront fusillés. Le Grec réussit – Defferre ne se rappelle plus comment il a été relâché et il vient immédiatement préVenir Defferre et Boyer qui prirent quelques mesures de prudence. La police Française vient aussi le trouver à son bureau et l'interroge, lui demande s'il a reconstitué le P.S. A la suite de cette visite, Defferre se rend compte qu'il est surveillé : on place non loin de son bureau des agents, qui, heureusement, appartiennent au P.S. et qui le préviennent. C'est également en 1943, qu'un radio fut pris pendant qu'il émettait. Heureusement, il ne trahit pas.

Cette même année 1942, on commence à parler de "fusion" des mouvements de Résistance. C'est pour cette raison que Boyer alla à Toulouse, où il rencontra Yvon Morandat, d'Astier de la Vigerie et Frenay. Mais cette entrevue ne produisit pas immédiatement de résultats.

Déjà, en 1942, Defferre et Boyer avaient organisé des "groupes d'action" qu'on appelait ou "groupes Froment" ou "groupes Veni", du nom du Colonel Veni qui les dirigeait. Ces groupes étaient formés de camarades du P.S. dans les régions de Toulouse, Marseille et de la Dordogne. Mais ils ne formaient pas encore de maquis. Pourtant, la "relève" commençait à poser des questions ardues et urgentes que les organismes syndicaux devraient résoudre à brève échéance. C'est pourquoi Defferre alla trouver Jouhaux à Cahors où il était en résidence surveillée (voir témoignage de Jouhaux) et lui propose de créer des "maquis" avec les ouvriers touchés par la "relève" et qui ne voulaient pas partir. Il proposa aussi à Jouhaux de le faire partir en Angleterre en avion, Jouhaux refusa, pour rester plus près du monde syndicaliste. La proposition de Defferre sur les maquis n'eut pas, non plus, de suite immédiate.

(.....) À la fin de l'année 1942, Defferre et Boyer rencontrent plusieurs fois à Lyon Christian Pineau avec lequel ils étaient en relation depuis l'été 1942: celui-ci avait créé un réseau. Mais il fut arrêté par Vichy et Boyer géra son réseau en son absence. Il réussit à s'évader en sautant d'un train, reprit la direction de son réseau et revint trouver Defferre en Août 1943 pour lui proposer un plan de résistance pour toute la zone Sud, mais il parut peu applicable à Defferre qui refusa.

À partir de Novembre 1943, les Allemands occupèrent la zone Sud et Marseille. La situation devint, immédiatement, beaucoup plus difficile, et plus dangereuse. Un beau jour, Eugène Thomas s'aperçut qu'il y avait une "filature" près du bureau de Defferre. On fit donc surveiller le type qui faisait ce métier. On le suivit, et l'on constata qu'il entrait dans l'immeuble de la Gestapo.

Defferre pensa que le mieux était de disparaître temporairement. Il s'en alla en Camargue, dans la propriété de son beau-frère. Il y passa huit jours et revint à Marseille où il resta jusqu'en Janvier 1943. Il partit alors pour Lyon.

Entre temps (fin 1942), Boyer alla à Londres en avion avec Boris Fourcaud. En son absence, Defferre dirigea le réseau (pendant un mois environ). Boyer revint autour du jour de l'an 1943. À Londres, il vit de Gaulle qui lui fit assez bonne impression (énergique, etc...) ainsi que Passy et il rapporta un certain nombre d'instructions. Le réseau s'appelle, dès lors, officiellement, "BRUTUS".

Après son retour, Boyer alla à Béziers chez son ami Malafosse qui était aussi l'agent du réseau pour la région de Béziers. Il aurait aimé partir à Londres. Defferre essaya de le faire partir par le réseau d'évasion de Nouveau. Mais, à cette époque, il ne s'occupait que des officiers Britanniques, Malafosse resta donc en France et continua à s'occuper du réseau. Il fut même arrêté par la Gestapo en Février 1943, il réussit, miraculeusement, à s'échapper (par une fenêtre, croit Defferre), mais les Allemands mirent sa maison à sac.

Peu après le retour de Boyer, en Janvier 1943, tout l'Etat-Major du réseau s'en alla à Lyon où il fallut s'installer, ce qui n'était pas commode dans une ville surpeuplée. Defferre coucha dans la banlieue de Lyon dans la maison qu'y possédait la fille de Suzanne Buisson. Cette dernière habitait Lyon. Puis Defferre finit par trouver un appartement à Lyon.

Boyer resta le chef du réseau et Defferre fut son adjoint. Ils ont des responsables dans toute la France : la zone Nord fut organisée par Eugène Thomas et le Dr Poupault. À Lyon, l'agent principal du réseau est Jean-Maurice Hermann (que Defferre prit, plus tard, comme directeur de son cabinet quand il devint ministre de l'Information).

Le réseau, à partir de 1943, est bien organisé : il reçoit pas mal d'argent. Il a des agents "professionnels", habitués à l'espionnage qui font un travail extrêmement fructueux, mais qu'il faut payer. Il a un nombre important de postes émetteurs (7 à 8), etc…

Les principaux responsables sont (sous la direction de BoyerDefferre)

- pour la région Parisienne : Poupault
- pour la région Toulousaine Malafosse
- pour la région Lyonnaise Hermann
- pour la région Marseillaise Barthélemy (tué plus tard par les Allemands)


Le secrétariat siégeait à Grenoble : il avait pour fonction de mettre le courrier en ordre. Il était confié à un interne en médecine, Bloch, dont Defferre dit qu'il poussait la prudence à l'extrême. Par contre, la secrétaire de Defferre, avocate elle-même, était Ginette Kahn, fille extrêmement courageuse et remarquable à tout point de vue. Elle fut arrêtée et déportée, mais est revenue (et mariée).

Les finances étaient confiées à quelqu'un qui était également très bien, très ordonné, très dévoué et très courageux : Achiary, ancien instituteur (actuellement en Algérie).

Les groupes d'action se développent et en 1943 sont séparés de l'A.S. et aussi (naturellement) séparés des groupes de renseignements Ils sont importants surtout dans les régions de la Dordogne et de Toulouse. Certains sont complètement clandestins, les autres non.

Defferre et Veni continuent à agir pour obtenir, par l'intermédiaire de Max, la reconnaissance officielle par Londres de ces groupes d'action. Les renseignements arrivent de plus en plus abondants, grâce en particulier, à l'agent que Defferre avait à Vichy : Vidal (actuellement au Ministère de l'intérieur).

Pendant l'année 1943, Defferre fit fonctionner le réseau avec des alternatives de succès et de coups durs : par exemple, en Mars, Eugène Thomas fut arrêté à Paris, et, par suite, le réseau de Paris fut détruit. Il fut rapidement reconstitué grâce à Sudreau (actuellement directeur au Ministère de l'intérieur).

Parmi les incidents qui marquèrent cette période, Defferre en note un qui se rapporte aux départs en avion. C'est le réseau "VECTOR" qui se chargeait de ces départs et arrivées d'avions qui emmenaient – et apportaient – courrier et gens. Vers Juillet 1943, Defferre s'était occupé à faire partir Frank Anglauer (pseudo Antoine) qui avait fondé le réseau AliAJAX, or, le jour où Defferre devait recevoir Antoine et le mener au terrain d'atterrissage, il fut tout surpris de voir arriver, non pas Antoine, mais Peretti, qui, dit celui-ci, remplace Antoine pour le voyage à Londres, Peretti partit, en effet à Londres. Mais trois jours plus après, arrive à son tour Antoine, furieux qui raconte à Defferre que Peretti a pris sa place, sans son accord. Il était évidemment, parti à Londres pour deVenir le chef du réseau. C'est ce qui arriva, d'ailleurs. Il revint, la lune suivante, comme chef du réseau AJAX, (qui devint son nom), et c'est Defferre et Boyer qui lui indiquèrent comment on faisait fonctionner un réseau. Quant à Antoine, il partit, un peu plus tard, pour Londres, puis Alger et il y resta.

C'est en Juillet 1943 aussi que fut arrêté Malafosse, à Toulouse. Son adjoint Morel (Alfred Martin) – secrétaire fédéral de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône D le remplaça. Mais, en même temps, on étudie les possibilités de faire évader Malafosse. C'est surtout Martin et Boyer qui s'en occupèrent. Ils réussirent à organiser tout un scénario qui fut couronné de succès. Ils obtinrent la complicité précieuse dune avocate de Toulouse. D'abord, ils obtinrent un faux ordre d'extraction de Malafosse pour un soi-disant interrogatoire dans le cabinet du juge d'instruction. Puis, ils purent faire changer les équipes de gendarmes. En temps voulu, ils téléphonèrent, soi-disant de la gendarmerie, à la prison pour ordonner de préparer le détenu à sortir. Peu de temps après arriva à la prison une voiture noire (ils n'avaient pas pu avoir une vraie voiture de la gendarmerie) d'où sortirent deux camarades de la résistance, déguisés en gendarmes, portant des menottes. Avec Defferre en civil et Boyer habillé, lui aussi en gendarme. Les deux gendarmes entrèrent dans la prison : Malafosse était prêt, il fut immédiatement remis aux gendarmes qui lui passèrent les menottes et l'emmenèrent. Il montant voiture, celle-ci s'arrêta dans un bois quelques kilomètres de là. Tous restèrent dans ce bois deux jours:ils étaient armés jusqu'aux dents. Ils montèrent ensuite dans un camion, changèrent de vêtements et ne furent pas inquiétés. Malafosse alla ensuite à Lyon et de là à Londres en avion (Août 1943). Cette évasion fut parfaitement réussie, sans un accroc.

En Septembre 1943, Boyer et Defferre vont à Londres, avec une double mission, à la fois pour leur réseau et pour le parti socialiste.

1/ Pour le réseau, ils ont à faire un travail de documentation, à apprendre les codes nouveaux, à se mettre au courant des nouveaux systèmes adoptés pour les courriers, etc…
Ils veulent aussi faire reconnaître par Londres non seulement le réseau, mais aussi les "groupes d'action" en tant que mouvements séparés, "La France au combat" qui serait, en somme, le 4° grand mouvement de la zone Sud.

Pour tout cela ils voient Passy, Manuel, Philip, Georges Boris, Pierre Bloch, Frenay (avec qui ils ont de vives discussions), Mederic, Bordier-Brunswig, etc.

On leur fait la promesse que leur mouvement sera reconnu si le général de Gaulle est d'accord.

Boyer repart alors pour la France (fin Septembre ou début Octobre) après un séjour d'une quinzaine de jours, tandis que Defferre part à Alger où il veut voir tout de suite de Gaulle pour régler la question de la reconnaissance du mouvement, et aussi pour remplir sa mission politique, à propos du P.S. Il voit aussi le général Giraud et tous les ministres ainsi que beaucoup de membres du parti socialiste comme Le Troquer, Moch, etc. Defferre resta 15 jours à Alger dont l'atmosphère lui parut très antipathique.Les Pétainistes y étaient très nombreux et influents.

Defferre repartit à Londres où il resta 3 jours, puis à Paris par un Lysander qui atterrit dans l'Allier le 7 ou 8 Novembre. Quand il arriva à Lyon, il s'aperçut que tout était brouillé : il ne trouve d'abord personne. Il se rend dans un local connu : personne n'ouvre. Il apprend que la Gestapo y est venu peu de jours auparavant. Enfin, il rencontre Daniel Mayer et Augustin Laurent, qui lui donnent les adresses de quelques camarades avec lesquels il reconstitue son réseau. Mais, vite ils sont tous arrêtés un ou deux jours après (en particulier Ginette Kahn, le fils d'Evrard et un basque nommé Ytier).

Defferre s'en va alors à Paris et y retrouve Boyer, Sudreau, J-M Hermann, etc. À peine une semaine après, J-M Hermann et Sudreau sont arrêtés par la Gestapo. Le réseau est donc en bien mauvais état, puisque les groupes de Paris et de Lyon sont décapités.
Cependant, Boyer et Defferre remontent le tout. Malheureusement, un mois après Boyer est arrêté à Paris par la Gestapo, "donné" par un agent double, nommé Blanc (pseudo : Cosinus).

En même temps des séries d'arrestations à Toulouse, Bordeaux, Marseille, désorganisent l'ensemble du réseau.

Defferre eut énormément de peine à tout reconstituer. Il réussit tout de même, trouva des hommes, reçut des appareils radios par parachutage pour remplacer ceux que les Allemands avaient saisis.

En même temps, il dut s'occuper de l'organisation des "groupes de Combat". En effet, de Gaulle avait accepté de les reconnaître comme mouvement séparé "La France au Combat" : cette acceptation avait été connue avant l'arrestation de Boyer (et même avant le retour de Defferre) qui avait amorcé le travail d'organisation avec Jacques Bingen, délégué du général de Gaulle en France. Boyer, comme chef de ce 4° mouvement de zone Sud, avait même siégé pendant un mois au Comité directeur des M.U.R. Ce fut Defferre qui le remplaça à ce comité après l'arrestation de Boyer, puis il se fit remplacer à son tour par Lacoste au début 1944. En Janvier 1944, Defferre participe à la constitution des noyaux actifs des C.D.L. clandestins. L'entrevue, Avenue du Président Wilson, fut orageuse, et les discussions âpres entre ces représentants du F.N. (Madeleine Braun, Bonnin) du P.C. (Maranne) et les représentants des autres mouvements : Copeau, Bourdet (ou Bertin), Avinin (Franc-Tireur) : l'antagonisme P.C. – P.S. était très vif.

À cette époque aussi, Defferre s'occupe activement d'intégrer ses groupes d'action aux F.F.I. Pour cela, il fait venir à Paris le Colonel Veni. Mais il se trouve en face de terribles difficultés.

En effet, Veni était entré en relation avec une mission Anglaise parachutée dans la région du Lot et dirigée par un officier Anglais qu'on appelait "George", et qui était lui-même en relation avec Malraux (Defferre note en passant que Malraux a uniquement travaillé avec les Anglais). Comme les Anglais lui fournissent des armes et de l'argent en quantités bien plus considérables que Defferre, Veni ne veut pas entendre parler de fusion avec les F.F.I. et veut continuer à agir en liaison avec la mission "George". Pour régler cette épineuse question, Defferre décide de réunir une sorte de conseil de guerre comprenant outre lui et Veni, le Colonel Fourcaud et l'Anglais George, qui est attaché à l'Ambassade de Madrid, très intelligent et distingué. Le rendez-vous a lieu rue Saint André des Arts. Defferre essaie de convaincre Veni de cesser de travailler avec les Anglais, car Defferre considérait cela presque comme une trahison, et d'établir un accord entre les Anglais et les F.F.I. : pour cela il arrangea un autre rendez-vous où vint en outre Bertin-Chevance. Malheureusement aucun accord ne fut possible. Comme Veni voulait à toutes forces rester avec George, Defferre nomma près de lui deux adjoints qui avaient pour mission d'abord de contrôler les troupes, puis, au besoin, de se substituer à Veni. Ces deux adjoints furent : Leger, ancien maire d'Evian et Berthoumieux, pharmacien à Toulouse qui vivait déjà dans la clandestinité et était aussi responsable du P.S. à Toulouse. Tous deux furent arrêtés et moururent en déportation.

À ce moment (printemps 1944), l'activité de Defferre fut paralysée à deux reprises, par une appendicite qui l'immobilisa plusieurs semaines (il se releva trop tôt la première fois). Il perdit ainsi contact avec Veni qui, volontairement, évitait de le rencontrer. Dès qu'il fut remis, Defferre organisa un rendez-vous à Lyon avec Fourcaud (qui avait à cette époque, un maquis près de Lyon) pour lui demander d'être arbitre dans l'affaire Veni. Avant sa maladie, Defferre avait d'ailleurs pensé à faire enlever Veni par un camarade et à le faire transporter en Savoie où il aurait pu prendre la direction des troupes de la région.

Quand Defferre est guéri (vers la fin Mai) les résistants reçoivent l'ordre de se rendre immédiatement dans leurs zones respectives, comme il avait été convenu. Pendant que Defferre était malade, on avait envisagé que les chefs des mouvements pourraient s'installer dans le centre et rester en contact avec leurs mouvements. Mais Defferre trouve cet arrangement fort dangereux et refuse. Pour lui, il part en Avignon le 13 Mai: il y reste deux semaines et, de là, il dirige son groupe tout en continuant sonnaille politique. Il faillit, d"ailleurs, y être tué au cours du bombardement du 27 mai.

Puis le 1er Juin, il rejoint Marseille. Il y organisa la Résistance, tant à Marseille que dans les environs où se trouvent les maquis de la Sainte Baume et de Trêts. Defferre resta à Marseille jusqu'à la Libération (25 Août): la ville était très dangereuse, les arrestations fréquentes : les 3 frères Barthélemy furent tués en deux jours, en Juin, dans la rue. Defferre lui-même faillit être pris plusieurs fois.Mais jusqu'à la fin, Defferre pût s'occuper de son réseau, il fut tenu au courant de ce qui s'y passait (dans toute la France) par les agents de liaison, qui voyageaient par chemin de fer ou en vélo. Par exemple Henri Noguères vint le voir de Montpellier, en vélo. Lui-même utilisait le vélo ou même le chemin de fer pour ses déplacements dans la région.

Pour ce qui est du groupe d'action Veni, la situation était difficile. Lorsque, le 6 Juin, ,on reçut l'ordre d'attaque, Veni envoya un officier Anglais, René (vrai nom : Firmin Boiteux, père d'origine française) attaquer les Allemands avec les hommes du maquis. Le combat fut rude : le maquis tua 30 Allemands, mais eut 13 tués et des blessés, dont l'officier Anglais, et fut obligé de se disperser. Cette dispersion empêcha Defferre de rejoindre le maquis et d'en prendre la direction le 7 ou le 8 Juin, comme il en avait l'intention. Il vit l'officier Anglais blessé et lui dit que Veni avait outrepassé ses pouvoirs et trompé ses camarades en prétendant agir de la part de Defferre alors qu'il n'avait, en fait, pas le droit de commander. L'officier Anglais ne crût pas Defferre.

On télégraphia à Londres pour régler le différend. Londres répondit à l'Anglais de s'accorder avec Defferre (la correspondance avait lieu par l'intermédiaire du D.M.R. qui s'appelait "Circonférence").

Puis l'affaire fut réglée lorsque Kœnig prit la Direction de toutes les troupes de l'Intérieur, anglaises comme française.

Les mois de Juin et de Juillet furent un période agitée, tout occupée à préparer l'insurrection qui devait conduire à la Libération. Les Allemands étaient nerveux et impitoyables (fusillades dans les environs de Marseille). Les besognes militaires alternaient avec les besognes civiles. Il y avait des réunions du C.D.L clandestin. Et, en même temps,on entraînait et organisait les troupes. Les milices socialistes, à Marseille, étaient nombreuses et actives. Defferre les maintenait en bon état d'entraînement, il leur faisait exécuter un attentat important chaque semaine. Le plus spectaculaire fut la destruction, en pleine Canebière, à midi, du siège du P.P.F. (qui sauta grâce à du plastic, mais un peu trop tôt, à midi, alors qu'il était vide).

Avant les combats de la Libération, les troupes armées de Marseille ne comptaient guère plus de 1.000 hommes, dont 700 milices socialistes, 740 F.T.P. et environ 156 M.L.N. (après la Libération, le nombre atteignit plusieurs milliers). Les armes étaient assez nombreuses et variées : mitraillettes, grenades, bazookas, revolvers, plastic.

Après le débarquement du 15 Août, la ville devint nerveuse. Bien qu'on n'ait aucun renseignement précis sur les événements, on sent, dit Defferre que "la température monte", et qu'il faut passer à l'attaque. C'était une grosse responsabilité, car les Allemands disposaient à Marseille de 12.000 hommes. L'ordre d'attaque fut cependant donné le 18. Des barricades furent construites. De toute parts, on tirait sur les Allemands. L'attaque se développa rapidement dans la journée du 11, de façon assez anarchique, dans tous les quartiers. Defferre dirigeait personnellement les attaques des milices socialistes. Il circulait dans la ville assez facilement, ayant réquisitionné une voiture de pompiers qui, en cornant, passait partout. Mais, au bout de deux jours, les Allemands le démasquèrent et tirèrent sur lui. La préfecture fut occupée par la Résistance, sans difficulté, le 2° jour du soulèvement, le 19 Août (le Préfet, Maljean, comme il l'avait promis à la Résistance, se rendit le 18 Août, il fut interné dans un moulin qui appartenait à un ami de Defferre avec d'autres prisonniers, dont plusieurs Allemands. Mais une batterie Allemande tira dessus, tua plusieurs prisonniers – dont des allemands – et effraya les autres, dont le Préfet qu'on interna ailleurs.

Les combats durèrent une semaine. Quand les alliés arrivèrent à Marseille, les barricades coupaient toutes les rues de la ville et les Allemands n'osaient plus rouler.

Après le départ des Allemands, Defferre fut le premier maire de Marseille.

II – Activité dans le P.S. clandestin.
Dès l'automne 1940, Defferre avait revu Gouinet son ami Horace Manicacci (qui était le secrétaire de la 10° : Marseille comptait avant la guerre 12 sections socialistes, ce qui faisait bien 2.000 militants socialistes). Manicacci avait pris sa retraite d'employé municipal de Marseille à la suite de la prise de pouvoir de Pétain. Il demanda à Defferre de participer à la reconstitution clandestine du parti. Celui-ci accepta. Il fallait agir avec prudence et ne prendre contact qu'avec des camarades sûrs : Defferre estime qu'au début, on ne réunit guère plus d'une cinquantaine d'adhérents. Ce nombre augmenta à la fin de l'occupation.

Mais il fallait les tenir bien en main. Et il fallait aussi rester en rapport avec les responsables de la région et avec les dirigeants du parti. Aussi, Defferre se rendait-il tous les Mardis à une réunion qui avait lieu au bureau de Gouin, rue de la Darse. Celui-ci était en contact avec le comité directeur du P.S. en zone Sud qui comprenait :

Daniel Mayer, Félix Gouin, André Philip, Suzanne Buisson, et peut être Hussel. Gouintransmettait au petit groupe des Bouches-du-Rhône les instructions du comité directeur.
L'activité des socialistes clandestins se bornait à cette époque :

1) A la diffusion des tracts et journaux clandestins édités par les mouvements de résistance du Midi (Combat, Libération, plus tard Franc-Tireur, et à partir du printemps 1941, le "Populaire" clandestin fondé par Thomas et Gernez dans le Nord).
2) À fournir tous les renseignements militaires récoltés ça et là, qu'on transmettait aux réseaux (pour Marseille, Defferre centralisait tout pour son réseau "BRUTUS").
3) À faire quelque petits sabotages (par exemple, dans le port, sur les quais, etc.). mais Defferre remarque que c'était assez peu de chose. L'activité du P.S. avait surtout un intérêt moral : entretenir l'esprit de résistance, le répandre. A cette époque (1940-1941), il était pas encore très fort dans le Sud de la France : Pétain conservait un certain prestige; les gens avaient peur de se compromettre . La preuve de ces sentiments de la population peut être fournie par l'échec d'un essai de manifestation le 14 Juillet 1941 et qui a échoué.
Defferre et ses amis collèrent pendant toute la nuit du 13 au 14 un nombre important de papillons sur les murs de la ville. Ils étaient très visibles, entourés d'une bande tricolore. La police, de bonne heure, en arracha un grand nombre. Mais ceux qui restèrent n'attirèrent guère l'attention de la foule qui les regarda à peine. Aucune manifestation n'eut lieu. Il y avait donc fort à faire au point de vue moral. L'année 1942 amena un revirement très net dû à des faits assez complexes (situation générale, par exemple) et aussi à l'activité des mouvements et, en particulier, dans la région Marseillaise, du P.S. Les membres appartenant souvent, en même temps, à des mouvements et réseaux comme BRUTUS – et on forma, avec eux des "groupes de combat", tenus pour l'instant, en réserve. Ce fut, répète Defferre la seule région de France où il y eut des groupes de combat spécifiquement socialistes. Les responsables de cette action de combat furent Trouve et Trompette. Ce dernier est maintenant conseiller municipal de Marseille. Mais Trouve fut arrêté et est mort en déportation.

Pendant toute cette période, précise Defferre il n'y a à sa connaissance aucun communiste dans la résistance. Ils se refusent à toute action.

Les progrès de l'esprit de Résistance – et le déclin de la popularité du gouvernement de Vichy – purent deVenir évidents lors du 14 Juillet 1942. Une immense manifestation fut organisée par le réseau BRUTUS qui réunit deux à trois cent mille personnes. Faites avec l'approbation de Londres, la manifestation fut commentée dès le lendemain à la B.B.C. ainsi que le récit des obsèques de la victime de la manifestation, deux jours plus tard. Ces récits de la B.B.C. furent comme la preuve de la puissance de la résistance et accrut énormément le prestige des mouvements.

Defferre avait l'intention de faire une manifestation du même ordre le 11 Novembre 1942, mais l'arrivée des Allemands dans le Sud rendit la chose impossible. À partir de ce moment, le recrutement devint de plus en plus facile, et l'on fût, au contraire, le freiner pour des raisons de précautions.

Les sections clandestines du P.S. tenaient assez régulièrement des congrès régionaux comprenant les "responsables". L'un d'entre eux se tint dans le bureau de Defferre au 70 rue Mongrand à Marseille. Ces congrès discutaient les questions concernant la diffusion des tracts, l'organisation des sections reconstituées, leur action, les rapports avec les mouvements de résistance, etc.

Les socialistes de zone sud avaient constitué un "comité directeur" de zone Sud dès le début de la résistance : Defferre y fut, d'abord, membre suppléant avec Lambert, Coeydas et quatre ou cinq autres, (dont peut-être Alex Roubert). Il entra ensuite au comité directeur (peut être en 1943 après l'arrestation de Thomas). En été 1943 (Mai-Juin) les Comités directeurs de zone Nord et zone Sud furent "coiffés" d'un "Comité exécutif" composé de Daniel Mayer, G. Jacquet, R. Verdier, Augustin Laurent, René Blum, Ch. Dumas, A. Dunois, etc.

En 1943, (deuxième quinzaine d'Octobre) il fut chargé d'une mission à Londres et Alger, à caractère à la fois politique et résistant pour "BRUTUS".

Au point de vue politique, filetait chargé d'examiner quels étaient les camarades socialistes qui devaient être désignés pour siéger à l'assemblée consultative. À ce sujet, il vit en particulier Gouinqui était parti à Londres dès 1941. Il vit aussi – à Alger – Jules Moch, A. Philip, Pierre Bloch, etc. qui avaient tous rejoint Alger en Octobre 1943. C'est au cours de ce voyage, qu'il fit un rapport très important sur l'activité du P.S. Ce rapport était la suite d'une longue lettre écrite à Gouinsur la situation politique de la résistance.

A Alger, Defferre vit le général de Gaulle qui fut très aimable : il n'était pas complètement débarrassé de Giraud. On s'occupait, à ce moment, des travaux préparatoires à la réunion de consultative : Defferre y participa, discuta des noms de ceux du P.S. qui devaient y entrer, mais refusa d'y siéger lui-même, car il voulait revenir en France s'occuper de "BRUTUS", malgré les dangers que son retour présentait et l'avis contraire du B.C.R.A.. Defferre note que, dans ses conversations avec de Gaulle, il lui conseilla de prendre comme ministre socialiste Le Troquer et, finances Mendès-France qu'il considérait comme le meilleur financier du moment.

Defferre revint en France en passant par Londres et l'Ecosse. À l'aérodrome Ecossais, il rencontra plusieurs socialistes qui passaient, en route de France à l'assemblée consultative d'Alger, comme Vincent Auriol, Jules Evrard, Froment.

Defferre était de nouveau en France au début de Novembre 1943. Il fut nommé responsable de la zone Sud par le P.S. (tandis que Jacquet était pour la zone Nord) et il entra au comité exécutif. Ce comité siégeait à Paris où, peu à peu tout se centralise (fin 1943). Il fait de fréquents voyages entre le Nord et le Sud où il regroupe tout le parti de la zone Sud, prépare les groupes de combat, voit les responsables des principaux centres de la zone Sud, par exemple ceux de Toulouse (Berthoumieux, Nave, puis Badiou).

En 1944, Defferre doit aussi s'occuper de l'organisation des C.D.L. clandestins : ce ne fut pas une chose facile, car à ce moment-là le P.C. avait fait son apparition dans la résistance et voulait tout accaparer ; Defferre eut avec eux des "bagarres terribles ". Par sa persévérance, il obtient que les socialistes entrent dans les C.D.L. mais après des "difficultés sans nom". C'est à ce sujet qu'il entra en rapports avec Closon et qu'il mit celui-ci en rapport avec Leenhardt qui s'occupa, par la suite de l'organisation des C.D.L.

En Mars 1944, dès qu'il fut remis de son appendicite, Defferre partit pour Lyon et échappa de peu à un coup de filet au cours duquel furent arrêtés plusieurs de ses collaborateurs. La Gestapo avait occupé le local où devait se tenir le Comité Directeur socialiste de zone Sud, c'est-à-dire les bureaux d'une "Société d'Epargne" que dirigeait un ami, nommé Gaillard. Prévenu, au sortir de la gare, Defferre va à un autre rendez-vous et échappe ainsi à l'arrestation, tandis que sont pris : Berthoumieux, Leger, maire d'Evian, Gaillard père te fils, Suzanne Buisson, etc.. Echappèrent au coup de filet, outre Defferre, Missa, Noguères, Malacrida et Daniel Mayer.

C'est à la réunion de ces comités que furent prises deux décisions, dont l'une seule fut exécutée : la première, celle qui fut exécutée, le fut, sur la proposition de Defferre d'exclure du parti, Lazurick, personnage malhonnête, qui trafiquait de toutes façons, soit avec les Allemands, soit sur l'or, etc. Il est maintenant directeur de l'Aurore. La seconde, qui ne fut pas appliquée, concernait Pierre Brossolette. Le parti considérait qu'il n'avait pas toujours, à Londres, fait son devoir de socialiste : il avait constamment pris le parti "des mouvements contre les Partis reconstitués, dont le P.S.

On décida, alors, de l'exclure du Parti, mais il fut pris peu après par la Gestapo. La décision, par suite, n'est jamais devenue officielle – Et elle est restée ignorée de la presque totalité des membres du Parti.

En Mai 1944, Defferre repart définitivement en zone Sud; il est le 1er Juin à Marseille, et y reste jusqu'à la Libération.