1940 : Qui étaient les premiers résistants
?
D'Alain Griotteray L'age d'homme 1999
Première partie : "Les hommes de Londres" Pages 57 à
67
Pierre Fourcaud
Fourcaud (Pierre). Né en 1900. Combattant volontaire en 1917. Agent du 2e bureau pendant l'entre deux guerres. Chef de Corps Franc en 1939-40. Rejoint la France libre en juillet 1940. Opère diverses missions en France en 1940 et y implante divers réseaux de renseignement. Emprisonné par Vichy en 1941-1942. Devient après son retour à Londres l'un des dirigeants du BCRA. Colonel, compagnon de la Libération. Après la guerre, directeur général adjoint de la DGER (ancêtre de la DGSE) puis chef d'un service de renseignement rattaché à la Présidence du Conseil.
Un personnage qu'on eût dit sorti d'un roman de Tolstoï". Quarante-cinq ans après, c'est l'image qui vient à l'esprit de Marie-Madeleine Fourcade lorsqu'elle évoque pour moi sa première rencontre avec Pierre Fourcaud, en Septembre 1940. Envoyé en mission depuis Londres par le colonel Passy, celui-ci est venu prendre l'air du temps vichyssois du côté de l'Hôtel des Sports, qui sert de quartier général à Loustaunau-Lacau. Et il est vrai qu'il est très slave, tel qu'on imagine un compatriote de Pouchkine ou Dostoïevski, ce personnage aux mille facettes qui tient de sa mère russe un "visage qui a quelque chose d'asiatique", aux dires de Rémy, qui travailla en liaison avec lui.
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Mêlant sang froid et folie, lucidité et inconscience,
capable de passer en un instant du rire tonitruant à la plus noire mélancolie
ou à la colère la plus fracassante, associant ses fantasmes à
la réalité au point d'avoir du mal lui-même à débrouiller
l'écheveau compliqué de sa vie ; aimant la conspiration et le
secret mais incapable de rester dans l'ombre, brave jusqu'à l'héroïsme
mais aussi recelant de grandes possibilités de dissimulation, capable
d'autant de générosité que de froide cruauté.
Passy l'accuse même d'ingratitude après la Libération.
Hâbleur avec sobriété, exubérant et renfermé sur lui-même, bavard et méfiant, pessimiste mais ne désespérant jamais de l'avenir, Fourcaud cousine pour moi avec le Nicolas Rostov de Guerre et paix: je l'aurais très bien vu s'enivrer avec frénésie et danser jusqu'au dernier moment avant de partir au combat, ou interroger méthodiquement et sans pitié un prisonnier ennemi avant de le traiter impérialement à sa table. Avec sa perception aiguë des caractères et son goût très sûr pour les images, Marie-Madeleine l'avait très justement baptisé "Capitaine Foudroyant".
L'entendant un jour, dans les années cinquante, sévèrement
critiqué devant moi, je répondis : "En tout cas, s'il faut
un jour partir pour une mission suicidaire au fin fond de la Russie et sauter
sans parachute, si Fourcaud est le chef, moi je partirai avec lui".
La vie de ce futur compagnon de la Libération et futur chef des services
spéciaux français commence vraiment en Juin 1940. Avant, c'est
le flou artistique... Pierre Fourcaud est né vers le début du
siècle, il s'est engagé très jeune comme homme de troupe
pendant la Première Guerre mondiale, s'est conduit plus que brillamment,
a été grièvement blessé, a terminé le conflit
sous-lieutenant dans une unité stationnée dans les Vosges. Sur
le conseil d'un camarade, dit-il, il aurait alors contacté le 2e bureau
français et, parlant russe, été employé plusieurs
années pour des missions dans les pays baltes, avant d'obtenir un commandement
dans la troupe, avec le grade de capitaine, vers 1934, et de repartir pour diverses
missions secrètes.
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A l'inverse, Loustaunau-Lacau le présente dans ses Mémoires comme ingénieur urbaniste et Marie-Madeleine dit qu'il n'était que réserviste. Quant à Passy, qui me parle de lui avec une antipathie bien compréhensible. il affirme que Fourcaud n'était pas militaire de carrière avant la guerre, mais représentant de commerce.
C'est faux, s'indigne ce dernier lorsque je l'interroge. J'appartenais au renseignement français depuis 1919. J'étais toujours en activité en 1939. Simplement, j'avais prêté serment que je ne dirais rien de ce que j'ai vu ou entendu. J'ai tenu parole je n'ai jamais rien écrit.
Je le crois : à l'époque, les spécialistes du renseignement devaient garder pour eux ce qu'ils avaient engrangé. Voyez ce que dit Pierre Nord de ses chefs.
En tout cas, rétorque férocement Passy, il n'a jamais manifesté de professionnalisme au cours de ses missions pour la France libre : il s'est toujours comporté comme un galopin.
Autre énigme à propos de Fourcaud : a-t-il adhéré à la Cagoule ? A Londres, Duclos le reconnaît pour l'un de ses anciens compagnons. Il nie et donne sa parole à Passy, qui veut savoir, qu'il n'a jamais appartenu à l'organisation d'Eugène Deloncle. A moi, près d'un demi-siècle plus tard, Fourcaud affirme y avoir été infiltré pour renseigner l'armée. Et il me raconte une entrevue avec Deloncle à Neuilly, dans la maison de Duclos: à cette occasion, le patron du CSAR lui montre un pistolet-mitrailleur Schmeisser à crosse de bois, un prototype ignoré alors de l'armée française.
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De sorte qu'en 1939, quelques années plus tard, Fourcaud
pourra en faire une démonstration à son colonel après en
avoir récupéré un stock, chez l'ennemi. La drôle
de guerre, il la passe à la tête d'un corps franc: une compagnie
cycliste qui opère des coups de mains entre les lignes et tend des embuscades
aux Allemands. Il sort toutes les nuits pour harceler l'ennemi s'organisant
sur place
- On vivait bien, me dit-il en riant, évoquant les six vaches réquisitionnées
par ses hommes.
Officier de chasseurs, il ne part pas pour Narvik et participe à la campagne de France. Il est blessé le 12 juin. Évacué en ambulance, il apprend que les Allemands sont à deux heures de là, s'apprêtant à entrer dans Nancy. Fourcaud file sur la Haute-Saône, rejoint dans le Jura une unité de l'armée des Alpes, restée très organisée. De là, il se rend à Annecy, sans un sou sur lui : lorsqu'il veut tirer un chèque à l'agence locale du Crédit Lyonnais, un employé peu aimable lui demande s'il ignore vraiment que Paris est occupé depuis plusieurs jours. Il est envoyé à Chambéry : là, il n'y a plus aucun ravitaillement et un médecin colonel lui prescrit de se "débrouiller". Dans une voiture réquisitionnée, Fourcaud prend le large avec trois camarades blessés comme lui : l'un d'eux est atteint au cou, ce qui ne l'empêche pas de conduire. Il gagne Digne, Nîmes, prend le train pour Toulouse, Tarbes, Bayonne. Le jour de l'armistice il rencontre au détour d'une route une vieille paysanne qui pleure de honte : superbe, il fait devant elle le serment de vaincre. Fourcaud entend l'appel du 18 juin sur son lit d'hôpital, à Biarritz.
Sa décision est prise, il ira à Londres : Ce
sont les seuls sérieux !
Lorsque aujourd'hui je l'interroge sur les motifs qui l'ont poussé à
reprendre les armes, il me regarde avec étonnement : Mon pays était
occupé. Cela ne suffit pas ?
Sans fausse modestie, il enchaîne : - Après tant d'années dans le renseignement, après avoir vécu une autre vie que mes camarades ordinaires, j'avais des vues exactes sur la situation mondiale.
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Il réussit à embarquer le 12 Juillet 1940, à
Sète, sur un bateau qui emmène en Angleterre un bataillon tchèque.
Voici notre homme à Londres, le 15 Juillet. Il se dirige vers Olympia
House, le dépôt des premiers "Français libres",
et se présente à l'étage du général de Gaulle.
Au bout d'un couloir obscur, il tombe sur "un grand type en tenue de chasseur"
: Pierre Tissier, un conseiller d'état ancien du contre-espionnage et
présentement chef d'état major de de Gaulle. Celui-ci le conduit
dans un minuscule bureau où siège, derrière une table de
bois branlante, le Général. Voici Fourcaud affecté à
l'état-major de l'homme du 18 Juin.
"Sans un rond", logé dans une pension sordide, le capitaine
erre dans les rues de Londres dont il me décrit l'atmosphère avec
humour : Le dimanche, on courait les filles tous ensemble Français, Anglais,
Belges, Polonais, Norvégiens, tous en uniformes de toutes les armes et
de tous les pays. Un jour les Anglais ont habillé deux de leurs officiers
en Boches et ils les ont envoyés sur les boulevards londoniens. Tout
le monde les saluait !
L'exilé admire la froide résolution de la population
britannique, qui s'attend de jour en jour à un débarquement allemand.
Les armes manquent : Fourcaud croise même une sentinelle munie d'un tube
de fer sur lequel a été soudée une baïonnette.
Quelques jours après son entrevue avec de Gaulle, au cours de laquelle
le Général, le voyant entrer le bras dans le plâtre, s'était
écrié : "Que vais-je faire d'un marin manchot ?", Fourcaud
rencontre, "par hasard", le colon Richards, "un copain de Riga"
pas vu depuis huit ans, qui appartient aux services spéciaux anglais.
Ce dernier lui conseille de "garder la main". C'est ainsi qu'il contacte
le chef du bureau gaulliste, Passy, qui s'efforce de mettre sur pied, avec des
amateurs et des bouts de ficelle, un service qui tienne debout.
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Passy dépeint dans ses Mémoires l'homme qui se présente devant lui en cette fin juillet 1940: "Glabre et le cheveu noir, mince et de taille moyenne, le teint mat, il évoquait une figure de condottiere. (...) De sa mère russe, il tenait l'air un peu mystérieux des Slaves. Le regard droit mais instable, il parlait toujours assez haut, atteignant par moment les bornes du cabotinage, exposant ses faits d'armes avec une fréquence maladroite. C'était une magnifique figure d'aventurier, mais d'un aventurier qui veut jouer au grand seigneur et qui cependant, par de menus détails, laisse de temps à autre percer son origine. (...) il parlait avec l'assurance et le bagout d'un excellent placier. (...) Son dynamisme bouillant, son ancienneté de combattant, ses propos de bretteur toujours teintés d'une légère note sentimentale exercèrent sur mes compagnons, comme sur moi-même d'ailleurs, un prestige certain et une indéniable attraction".
Ne cachant pas son mépris pour les "planqués", Fourcaud propose à son chef de repartir pour la France, afin d'y nouer d'utiles contacts. Passy, qui redoute les initiatives de son subordonné, limite cette mission à la zone libre et lui interdit tout contact politique : il doit se contenter d'implanter un réseau de renseignement. Fourcaud sera le cinquième Français libre à gagner la France, après Mansion, Duclos, Beresnikoff et Rémy, avant d'Estienne d'Orves.
Il part en Septembre 1940 pour le Portugal, retrouve Rémy
en Espagne et passe les Pyrénées sous le pseudonyme de Lucas.
En dépit des ordres reçus, Fourcaud s'empresse de nouer des contacts
dans les milieux politiques. Il traîne ses guêtres à Vichy,
sans juger utile de préserver un semblant d'incognito. Il rencontre Groussard,
qui le décrit ainsi : "Grand, maigre, avec une moustache brune et
de petits yeux aigus, trépidant en diable et volontiers prolixe, il n'était
pour cela ni brouillon ni bavard. Tout au contraire savait-il merveilleusement
se taire. Je le revois en ces jours moroses, répandant autour de lui
constamment son enthousiasme, sa bonne humeur et sa confiance sereine, totale,
en la victoire".
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En Octobre, Groussard, inspecteur général des services de sûreté de Vichy, présente l'agent de la France libre à deux autres résistants utilisant la couverture de l'État français, le colonel d'Alès, grand patron du service des Menées antinationales, et Loustaunau-Lacau, alors responsable de la Légion des combattants. "Navarre", que Fourcaud aidera financièrement sur les fonds de Londres et mettra en contact avec les responsables de l'intelligence Service, brosse de son côté cet autre portrait de ce personnage décidément multiple. "Grand, fort, avec le teint pâle des Blancs Russiens, Pierre Fourcaud ne peut cacher son origine à demi slave, que son charme, son visage et cette façon qu'il a de virer de la tendresse à la dureté révèlent au premier abord. C'est l'homme le plus courageux qu'il m'ait été donné de connaître, de ce courage qui confine à l'oubli total de soi, du risque. (...) Avec Groussard et Fourcaud, on peut s'en aller chasser la panthère aux lampions, prendre le premier avion fusée pour la Lune, traverser l'Amazone en canoë, affronter le plus féroce des tribunaux, rien ne les étonne. Ils sont assez loin de la vie pour accepter de la perdre. Palais ou chaumière, cela leur est indifférent. Ils connaissent l'homme sous toutes ses faces. ils ne sont pas durs mais coriaces, et ils partagent tout ce qu'ils ont".
Il part en Septembre 1940 pour le Portugal, retrouve Rémy en Espagne et passe les Pyrénées sous le pseudonyme de Lucas. En dépit des ordres reçus, Fourcaud s'empresse de nouer des contacts dans les milieux politiques. Il traîne ses guêtres à Vichy, sans juger utile de préserver un semblant d'incognito. Il rencontre Groussard, qui le décrit ainsi : "Grand, maigre, avec une moustache brune et de petits yeux aigus, trépidant en diable et volontiers prolixe, il n'était pour cela ni brouillon ni bavard. Tout au contraire savait-il merveilleusement se taire. Je le revois en ces jours moroses, répandant autour de lui constamment son enthousiasme, sa bonne humeur et sa confiance sereine, totale, en la victoire".
Vêtu d'un éternel blouson de cuir aux poches gonflées dans lesquelles il trimbale toutes sortes de fioles et de bouts de papiers, Fourcaud sillonne la zone libre : il ne tient pas en place, voyage à tout bout de champ. Son insouciance donne des sueurs froides à ses amis.
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D'une inexactitude chronique qui terrorise ses contacts, il a pris le parti de ne pas porter de montre. A Clermont-Ferrand, où il rend visite avec Rémy au colonel Borgnis-Desbordes, sous-chef de l'état-major de région et résistant convaincu, il claque des talons devant l'officier supérieur effaré, s'immobilise dans un impeccable garde-à-vous et lance le mot de passe d'une voix de stentor. A Marseille, où il fait réparer par les spécialistes de Loustaunau son émetteur "Roméo", il répond, sans se démonter aux gendarmes qui l'interrogent, qu'il s'agit d'un poste de TSF. Et passe sans encombre !
En plein Vichy, il arbore au revers de son veston l'insigne aux ailes déployées de la France libre. A Marie-Madeleine qui s'en inquiète, il répond comme un camelot:
Vous ne savez pas l'effet que ça produit sur les passants.
Ils en demandent tous.
Ce qui fait grommeler Navarre "Pour la sécurité, vous feriez
mieux de porter la francisque !"
Toute cette agitation donne-t-elle des résultats ? Ce n'est pas l'avis
de Passy. Fourcaud est revenu à Londres en Décembre 1940 avec
la complicité du colonel Baril, le chef du service de renseignement de
Vichy, et muni d'un passeport signé par le ministre des Affaires étrangères
de l'État français ! Rendant compte de sa mission, il fait état
de contacts dans les hautes sphères vichyssoises, des possibilités
de travailler avec des dirigeants bien placés dans des rouages essentiels.
Passy est furieux : son agent n'a pas tenu compte des consignes, et par-dessus
le marché a négligé sa tâche primordiale, l'implantation
d'un réseau. Fourcaud répond ingénument, si l'on en croit
Passy. Pourquoi me serais-je fatigué à en créer un puisque,
par mes amis Groussard et Loustaunau, je vais disposer de toutes les informations
des services officiels de Vichy. Et, pour preuve de la bonne volonté
de l'ensemble du gouvernement pétainiste, il confie à son chef
médusé. Là-bas, tout le monde me connaît. On m'y
appelle "le représentant de de Gaulle". Passy se jure bien
que Fourcaud ne retournera jamais en France : son imprudence risque de mettre
en danger des réseaux qui travaillent vraiment, celui de Rémy
notamment. Éternel débat sur Fourcaud. D'autres, Français
et Anglais, disent le contraire et reprochent à Passy d'avoir mal utilisé
son agent parce qu'il prenait des initiatives.
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"Lucas" effectuera du reste une seconde mission sur le continent. En Janvier 1941, de Gaulle lui-même le charge de retourner en France pour y mettre sur pied des "comités anti-Pétain". Fourcaud part le 13 Janvier. De Gaulle l'a reçu auparavant, comme il le fait pour tous les agents à la veille d'une mission.
C'était un garçon très timide, raconte
Fourcaud, en décrivant le Général. Je sentais qu'il avait
envie de me donner une tape dans le dos. Il n'a jamais pu. II a grogné,
le nez tourné vers la fenêtre : "Ne faites pas l'idiot !"
Passy prétend que son agent, pas plus que la première fois, "n'a
rien rapporté d'intéressant", malgré des déplacements
d'un bout à l'autre de la zone libre. En Février 1941, Fourcaud
pourtant a suscité à Perpignan la création d'un réseau,
"Brutus", composé à l'origine de gens de droite et qui
peu à peu regroupera des éléments socialistes, dont le
chef sera un avocat membre de la SFIO, Gaston Defferre. La création de
"Brutus" s'est faite dans l'appartement de fonction d'un jeune fonctionnaire
de Vichy, Jacques Bruneau, chef de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales.
Bruneau, qui se souvient encore de Fourcaud comme d'un "grand diable à petites moustaches et aux yeux pétillants de malice", est un résistant de la première heure. Né à Beyrouth en 1913, ce fils d'un couple d'instituteurs est docteur en droit, auteur d'une thèse sur "la ruse dans la guerre sur mer". Commissaire de la marine après avoir été officier de renseignement au 2ème bureau de l'escadre de Méditerranée, Bruneau ne s'est jamais mêlé de politique, jugeant les partis pusillanimes et malfaisants. Il a fait la guerre sur le croiseur Algérie qui patrouillait dans l'Atlantique Sud pour intercepter le Graf Spee, puis à la tête d'une unité de fusiliers-marins. A l'annonce de l'armistice, un quart d'heure après l'allocution de Pétain, Bruneau a camouflé les armes de son unité, ainsi qu'une paire de guêtres blanches "pour défiler le jour de la victoire" : il est "devenu gaulliste sans le savoir". Démobilisé, il contacte Groussard, désireux de poursuivre le combat d'une façon ou d'une autre. Le colonel lui demande d'accepter un poste dans la préfectorale.
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Installé à Perpignan, Bruneau voit défiler,
dans son appartement, à l'insu du préfet, personnalités
de la France libre et de Vichy, unies dans le même désir de bouter
l'Allemand hors de France : Saint-Jacques, Rémy, Groussard, le commandant
de la zone marseillaise des Menées antinationales... Voilà une
nouvelle preuve de l'utilité de la zone libre au début de l'Occupation
: jamais les réseaux n'eussent pu se constituer sans cette aire de relative
sécurité. Dans ses mémoires, Les tribulations d'un
gaulliste en Gaule, Bruneau explique : "L'administration était
passive, elle amortissait souvent les décisions brutales de Vichy".
Bruneau se retrouve ainsi l'adjoint de Fourcaud pour l'implantation de "Brutus".
L'agent de de Gaulle ne s'est pas assagi. Son nouveau lieutenant raconte un
dîner avec lui à l'Hôtel de France, à Perpignan. A
la table voisine, un homme s'en prend violemment aux Anglais. Indigné,
Fourcaud lui intime l'ordre de "cesser de raconter des bobards". Comme
l'autre, éberlué, proteste, Fourcaud, superbe, lui cloue le bec
d'un tonitruant :
"Ne dites pas des imbécillités. J'arrive
de Londres".
Bruneau témoigne aussi de ce qui restera le drame de cette guerre qui
tourna au conflit entre Français. Il a reçu à Perpignan
la visite d'un condisciple à la faculté de droit, Bassompierre.
Celui-ci lève des volontaires pour le front de l'Est et deviendra l'un
des chefs de la Milice, ce qui lui vaudra d'être fusillé à
la Libération. Bruneau s'ouvre à son camarade de ses activités
dans la Résistance. Et Bassompierre soupire :
- On se serait revus plus tôt, je serais sans doute parti à Londres.
Pendant ce temps, Fourcaud poursuit sa tournée. Délaissant ses
contacts habituels, il noue de nouvelles relations.
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Ce qui vaut à Passy de recevoir en Juin 1941 ce câble ahurissant : "J'ai le parti radical en entier derrière moi" c'est à dire plus de la moitié des Français." Entre-temps Fourcaud a monté le réseau "Donald",dont le premier chef est le lieutenant Warin dit Wibot (qui deviendra après la guerre le patron de la DST), anciens des groupes de protection de Groussard et affecté au bureau des Menées antinationales. Il s'est également efforcé, en vain, de convaincre, muni d'une lettre manuscrite de de gaulle, le commandant en chef de la flotte de Toulon, l'amiral de Laborde, de se rallier aux Forces Navales Françaises Libres. Le frère de l'amiral avait pourtant recommandé à Fourcaud, sans jeu de mot, de "ne pas l'aborder" : le marquis de Laborde était un anglophobe frénétique.
C'est la fin de l'aventure pour Fourcaud, du moins pour la période que j'ai voulu traiter. En Août 1941, il est arrêté sur ordre de ces autorités de Vichy auxquelles il faisait confiance.
Il restera en prison jusqu'en Septembre 1942, date a laquelle il rejoint Londres. S'est-il évadé ou a-t-il été libéré ? Passy, son propre chef est incapable de le dire.
A côté de d'Estienne d'Orves, archange resplendissant de la Résistance, ou de Loustaunau-Lacau, mousquetaire subtil et retors, mais d'une droiture à toute épreuve, le colonel Pierre Fourcaud fait figure d'une sorte de Goetz de Berlichingen du XXéme siècle. Au moment de la réflexion et du bilan, je ne veux me souvenir que d'une chose : lui, toujours en retard, il était exact à l'heure du rendez-vous.
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