Pierre Sudreau


Pierre Sudreau à son retour
de déportation en 1945

Né à Paris en 1919 au sein d'une famille d'industriels. Son père meurt alors qu'il n'a que quatre ans. Après des études de droit et de sciences politiques, Pierre Sudreau suit en Juin 1940, au moment de l'armistice , un stage à l'École de l'Air, alors repliée sur le terrain des " Landes de Bussac " près de Bordeaux. Choqué par la défaite de son pays et par la demande d'un armistice, il souhaite immédiatement poursuivre la lutte ; marié et alors père d'un enfant, il hésite cependant à suivre ses camarades de l'École de l'Air, désireux de rejoindre Londres par l'avion. Il reste en France et participe en Août 1940 à la récupération d'armes sur la base aérienne de "stockage" d'Agen, et prend contact en septembre avec quelques officiers à Toulouse, parmi lesquels Henri Frenay.
 
Lorsqu'il rencontre en Mai 1941 à Marseille André Boyer, jeune avocat socialiste, organisateur avec Pierre Fourcaud - agent du BCRA en mission, d'un réseau de renseignement qui se dénomme alors "Lucas", Sudreau est toujours mobilisé dans l'Armée de l'Air (jusqu'en 1942).

Créé en janvier 1941 ce réseau se distingue par sa composition et quelques-uns de ses objectifs de la plupart des autres réseaux de résistance. De fait il recrute essentiellement ses agents dans les milieux socialistes des grandes villes de la zone Sud (Marseille, Toulouse) A la suite de l'arrestation de Pierre Fourcaud en Août 1941, son frère Boris, puis André Boyer, prennent la direction du réseau pour l'ensemble de la zone Sud. Aidé par un collègue avocat, également socialiste, Gaston Defferre ("Danvers") Boyer développe les activités du réseau - devenu entre-temps " Brutus " - à Toulouse, à Lyon ainsi que dans le Sud-Ouest (en particulier dans le Lot), où se créent progressivement des groupes d'action armés, les "groupes Véni". En Juin 1942, Boris Fourcaud, André Boyer et Gaston Defferre projettent la création d'un Comité national regroupant des représentants des partis politiques, des mouvements et des syndicats, et chargé d'unifier le rôle et l'action de la résistance. La proposition soumise à Londres est d'abord écartée par Jean Moulin, qui rejette la présence des anciens partis politiques, mais elle initie et préfigure le futur C.N.R.

Bien développé en zone Sud le réseau "Brutus" cherche à étendre ses activités de renseignement à la zone occupée. Au début de l'année 1942, Pierre Sudreau rencontre à plusieurs reprises, par l'intermédiaire d'André Boyer et de Gaston Defferre, Eugène Thomas ("Tulle"), ancien député socialiste, responsable du réseau pour la région de Toulouse, ainsi qu'Augustin Laurent, responsable du CAS à Lyon et à Paris. Eugène Thomas et Augustin Laurent lui fournissent une liste de personnes sûres et le chargent d'organiser le recrutement du réseau "Brutus" en zone Nord et à Paris. Pierre Sudreau devient alors "Saillans" et engage quelques amis, Pierre Bernard, Michel Bauer et André Clavé. Ce dernier, homme de théâtre, ami de Pierre Schaeffer, et ancien camarade de Pierre Sudreau à l'École de l'Air, est recruté en Septembre 1942. La mission de Brutus consiste à transmettre à Londres de nombreux renseignements dont ceux sur la construction du "Mur de l'Atlantique". Pierre Sudreau parvient à s'introduire à la Délégation du ministère de l'Intérieur comme "rédacteur auxiliaire", prenant connaissance des rapports secrets des préfets de la zone occupée et de leurs informations militaires.

Parallèlement à ces activités de renseignements, Pierre Sudreau participe avec Louis Armand, responsable de la Résistance ferroviaire, à quelques opérations de sabotage dans le Nord et dans l'Est.

A partir du printemps 1943 le réseau fait face à une première vague d'arrestations, d'abord en zone Sud par la police de Vichy, puis en zone Nord et à Paris par la Gestapo. Infiltré par un agent double de l'Abwehr, "Carré" - à l'origine du démantèlement du réseau du "Musée de l'Homme" -, "Brutus " subit de nouvelles arrestations à l'automne 1943 ; à celles de Pierre Sudreau et de Jean Maurice Hermann, le 10 Novembre, succèdent les arrestations d'André Boyer et d'André Clavé quelques jours plus tard. D'abord torturé par la Gestapo, qui recherche Gaston Defferre, Pierre Sudreau est enfermé à la prison de Fresnes, mis au secret pendant six mois. Il parvient cependant à faire parvenir un message à l'extérieur de la prison prévenant les autres membres du réseau de la trahison de Carré. Ce dernier sera exécuté en Avril 1944 par un groupe franc de "Combat".

Au mois de Mai 1944 Pierre Sudreau est interné au camp de Royallieu près de Compiègne; il y retrouve non sans bonheur, après six mois de prison, André Boyer et André Clavé. Le 12 Mai, tous les trois sont déportés à Buchenwald, dans le même convoi que celui de nombreux résistants communistes. Une tentative d'évasion du convoi juste avant la frontière allemande échoue ; transféré à la gare de Sarrebrück dans un wagon métallique, en compagnie d'André Clavé et d'André Boyer, Pierre Sudreau souffre de la chaleur et tombe très malade. Il est sauvé par ses deux amis :

Arrivé à Buchenwald le 14 Mai 1944, au bout d'un mois Pierre Sudreau est séparé de ses amis qui sont dirigés vers l'annexe de Dora. André Boyer meurt en Avril 1945 sous les bombardements. Rapatrié en Mai 1945 Pierre Sudreau est nommé à 26 ans sous-préfet puis sous-directeur au ministère de l'Intérieur. De 1951 à 1955 il est le plus jeune préfet de France, alors en poste à Blois (dont il sera le maire de 1971 à 1989.

De 1955 à 1962, d'abord comme Commissaire à la Construction et à l'Urbanisme de la région parisienne, puis comme ministre de la Construction du général de Gaulle à partir de 1958, Pierre Sudreau est au centre des projets d'urbanisme de Paris et de sa région.
C'est l'époque de la construction des grands ensembles "fonctionnels", de la mise en chantier du R.E.R., du périphérique, et du lancement du quartier des affaires de La Défense dans l'Ouest parisien, dont le bâtiment du Centre National des Industries et des Techniques conçu par l'architecte Jean Prouvé est le symbole.

Ministre de l'Éducation Nationale en 1962, dans le gouvernement de Georges Pompidou, Pierre Sudreau s'oppose fermement au projet de référendum sur l'élection du président de la République au suffrage universel. Désavoué par le général de Gaulle Pierre Sudreau démissionne du gouvernement.
Plutôt situé au centre-gauche, mais ne revendiquant aucune appartenance à un parti politique particulier, Pierre Sudreau définit lui-même son action politique comme le prolongement naturel de son engagement dans la Résistance et de sa déportation, dont il a pleinement intégré l'expérience à sa pensée. Militant depuis les années 1980 pour diverses causes (contre la prolifération des armes nucléaires, pour le rapprochement Nord-Sud ou pour la paix au Proche-Orient), Pierre Sudreau œuvre également pour le rapprochement des diverses sensibilités politiques des associations du monde résistant et déporté. Auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus ouvert sur l'avenir, s'intitule Au-delà de toutes les frontières, autant Mémoires qu'essai, nourri de son action politique, de ses engagements divers et de son expérience des camps, Pierre Sudreau développe une vision du monde à la fois lucide, pacifiste et humaniste.

 

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