ANDRÉ CLAVÉ 1916-1981


LA RÉSISTANCE
Extraits de l'Ouvrage de Francine Gaillard Risler
2bis rue Pétel
75015 Paris

Dès le 17 Juin 1940, après le discours de Pétain demandant l'armistice, André Clavé a fait son choix et le déclare:
"Pour les garçons de ma génération, âgés de 25 à 30 ans pendant l'Occupation allemande, il n'y avait pas d'autre possibilité, s'ils souhaitaient se sentir utiles à quelque chose, que d'essayer de pénétrer dans les mouvements de résistance à l'occupant. Ce ne sont pas seulement les affiches des fusillés de Nantes, ni les exécutions au matin du Mont Valérien, qui nous poussaient à faire quelque chose. C'était un besoin d'adhérer à ce qui est en péril, à ceux qui souffrent.
Ce fut l'un de mes camarades de l'armée de l'air, Pierre Sudreau, qui me fournit cette occasion. Il était chargé de la direction (pour la zone occupée) du réseau Brutus, fondé par les frères Fourcaud, à Marseille, au tout début de l'occupation allemande et dirigé sur le plan national par André Boyer et Gaston Defferre."

Un des premiers en France, à s'élever contre l'occupant nazi fut Pierre Fourcaud, jeune engagé volontaire de la Grande Guerre (1914-1918). En 1939, il dirige une compagnie d'infanterie. En Juin 1940, parti pour Londres, il obtient un commandement de parachutistes, est blessé à la jambe; puis, il devient le premier envoyé du général de Gaulle, en France.
Arrivant d'Angleterre, comment prendre contact pour pénétrer dans un réseau de résistance ?
Pierre Fourcaud : "Lorsqu'on arrivait en France, la pagaille étant intense, on allait
trouver des gens que l'on connaissait, on tâtait le terrain: - "C'est affreux, j'arrive de Londres... " Si la réaction était bonne, on disait: - "On va faire quelque chose de sérieux. » On engageait alors la personne et elle-même recherchait des copains. II n'y avait pas d'organisation systématique."

Connu politiquement pour son appartenance à la droite, Fourcaud parvient à rassembler des hommes et des femmes de sensibilités politiques très différentes, plutôt de gauche, pour résister à l'Occupant et former ainsi ce qui allait devenir le réseau Brutus. A Marseille, en Avril 1941, il rencontre André Boyer, avocat, qui le met en relation avec Félix Gouin de la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière qui a désigné le parti socialiste français de 1905 à 1971).
Pierre Fourcaud: "André Boyer m'amène dans un appartement près du vieux port, installe le "Radio" qui commence à travailler et me demande: "Verrais tu un inconvénient à rencontrer Félix Gouin ?" (J'ai la sale réputation d'être de droite!)
"Mon pauvre petit vieux, ça m'est absolument égal. Pour moi, une seule question importe: être pour ou contre les Allemands; on se bat ou on ne se bat pas." - II me prend alors sous le bras et m'amène chez Félix qui me reçoit assez mal, me disant : "On m'a dit qui vous étiez. J'aurais évidemment préféré prendre contact avec le général de Gaulle à travers quelqu'un politiquement moins marqué. Je suis chargé par Léon Blum, de reprendre la SFIO. La situation est la suivante: les communistes ont une organisation clandestine depuis longtemps, les socialistes, eux, n'ont rien.
Or, il n'y a pas un village en France où il n'y a pas au moins un socialiste. Je vous propose un pacte: vous m'aidez à faire entrer notre parti dans la clandestinité et moi, je vous ouvre tout le fichier."
A André Boyer qui me demande comment procéder, je réponds : "C'est très simple, vous me désignez un homme de confiance, je prends contact avec lui, et je lui ferai faire des liaisons. II faut qu'il apprenne son métier de 'clandestin'. (…)
C'est ainsi que fût fondé le réseau Brutus. Félix Gouin me présente alors un garçon remarquable: Eugène Thomas, qui prend son bâton de pèlerin, et commence à faire les premières liaisons.
Là-dessus, mi-Août, je suis arrêté. Alors, mon frère Boris me remplace, sous le nom de Froment... Ma blessure à la jambe contractée en 1940 et non soignée, me faisait souffrir, j'ai demandé à être hospitalisé, tout en préparant mon évasion.
Au bout de quelques mois, je me suis évadé et j'ai rejoint Londres, fin Septembre 1942, suivi par mon frère Boris, début 1943, qui, à ce moment-là, a été remplacé par Eugène Thomas. Malheureusement, celui-ci a été arrêté peu de temps après, en Mai 1943. Le bâton de commandement est alors passé à André Boyer. qui choisit le nom du réseau "Brutus".
(….)
Pendant ce temps, à l'intérieur du réseau, les arrestations se succèdent. Le 10 Novembre 1943, Pierre Sudreau est capturé par la Gestapo; André Clavé, son adjoint, prend alors la relève, pas pour longtemps hélas. Lui et André Boyer, patron du réseau, Seront à leur tour arrêtés. On y retrouvera la main d'un certain Carré-Cosinus, soi disant membre du réseau, qui finira par être démasqué comme agent de la Gestapo, celui-là même qui avait dénoncé Eugène Thomas en mai de la même année, puis Pierre Sudreau, à l'automne.
André Boyer et André Clavé sont arrêtés ensemble, dans un café de la rue Saint Honoré, Le Grand Vatel.

Arrestation et prison de Fresnes
Avant d'être transférés à la prison de Fresnes, les deux hommes sont conduits avenue Foch, au siège de la Gestapo, pour y être interrogés, d'une façon un peu musclée. La première nuit, André la passera dans une chambre de service. Puis, ce sera la prison de Fresnes, où il restera six mois, d'abord au "secret", puis avec d'autres internés.
Suit, le récit détaillé par lui-même, de son arrestation et de sa première nuit à Fresnes:
André restera au secret pendant quelques semaines.
A Fresnes, on est autorisé à envoyer son linge sale à sa famille. Un jour, alors qu'un soldat allemand vient chercher la valise contenant ses vêtements à laver, André griffonne au crayon sur un mouchoir : "Carré, traître".
Après l'inspection d'usage, et avant que le soldat ne ferme la valise et reparte, André se mouche, puis... au dernier moment, lance ce précieux mouchoir. II apprendra plus tard, que la famille, après avoir analysé minutieusement le linge sale, a trouvé l'inscription !...

Le camp de Royallieu
Après six mois passés à la prison de Fresnes, André Clavé est dirigé, le 4 Mai 1944, vers le camp de Royallieu près de Compiègne, camp de transit pour prisonniers politiques, avant leur départ pour l'Allemagne.
À Royallieu, pour tous ces camarades du même réseau, c'est la joie de se retrouver. D'après Sudreau, les deux André (Boyer et Clavé), Jean-Maurice Herrmann et lui-même, y passeront une semaine idyllique :
Pierre Sudreau : "Pour tous nos compagnons, nous avions imaginé le pire, car les Allemands racontaient systématiquement qu'Un Tel et Un Tel avaient été fusillés ou avaient été emmenés en Allemagne.
Nous n'en finissions plus de nous raconter nos histoires, et, bien entendu, surtout nous tentions de faire des recoupements sur les circonstances de nos arrestations ... Le fait important de cette période, c'est que nous recevions des colis (à Fresnes, nous en avons eu quelques-uns). J'ai même le souvenir marquant d'avoir reçu un paquet dans lequel il y avait des pruneaux et à l'intérieur de l'un d'eux, à la place du noyau, il y avait une feuille de papier à cigarette, donnant les dernières nouvelles qui annonçaient, d'une part, la naissance de la petite Catherine Boyer, à son père, et d'autre part, fait inimaginable, que notre agent double: Carré alias Cosinus, le grand responsable de nos arrestations, avait été abattu, le 18 Avril 1944.
Ces deux grandes nouvelles, reçues au bout de quelques jours de présence à Compiègne, nous avaient, bien entendu, emplis d'une grande joie.
Huit jours de défoulement après des mois de secret, c'était bon! Jean-Maurice Herrmann a été, lui, envoyé vers un autre camp de concentration, mais André Clavé, André Schock, ainsi qu'André Boyer et moi, sommes partis dans le même wagon pour Buchenwald. Ce qui me frappe, à cette époque, c'est que chaque déporté était comme une carte dans un jeu horriblement battu, mélangé par l'administration nazie et que nous suivions des chemins très différents. L'arrière-pensée des SS était de séparer, systématiquement, les gens susceptibles de se connaître et de former des groupes, groupes d'action ou groupes de révolte. Ainsi, Jean-Maurice était déporté ailleurs; André Boyer, André Clavé, André Schock et moi-même, arrivés à Buchenwald, avons été séparés trois semaines plus tard."

 

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