UN EPISODE DU RESEAU PARMI TANT D'AUTRES

Les lignes qui vont suivre sont dédiées à tous les camarades qui succombèrent dans les camps de la mort et particulièrement à ceux de notre réseau : les Oreste DUFOUR (Jean) KUBLER ( Poulet) BERTIN BERGKMANN (Ricou).

Elles s'adressent également à tous les jeunes qui n'avaient pas su moment où ces évènements se passaient, l'âge de combattre clandestinement l'oppresseur de notre pays. la jeunesse actuelle peut vivre librement, qu'elle n'oublie pas qu'elle le doit au sacrifice obscur de ses aînés.

Pionnier (Réseau Brutus)

Un jour quelconque de mai 1944... 21h, 15. . . Pan... Pan . . Pan. . . Pan. . . Pan... Pan... Pan... Ici LONDRES ! vous allez entendre quelques messages personnels ......

Toute la Résistance effective du pays est à l'écoute. Le nombre des messages personnels s'intensifie de jour en jour; quatre textes à nous destinés que vient de diffuser la B.B.C. sont communiqués à mes adjoints.

Les réunions se multiplient, tantôt dans un square, tantôt dans un café ou une station de métro. Tout le monde est prêt, tout le monde attend cela depuis longtemps. Une grande espérance remplit les coeurs.

Le jour, enfin va se lever sur cette nuit peuplée de cauchemars où domine l'uniforme vert.
Londres nous a fait savoir, par le canal des réseaux de renseignements que le débarquement serait imminent, au plus tard deuxième quinzaine de Juin, mais peut être plus tôt. Nous nous tenons prêts; mais nous n'avons pas d'armes. Depuis Juin 1943, les cachettes préparées pour en recevoir sont restées vides. Allons-nous aller à la bataille avec nos poings ?
Nos hommes s'impatientent, s'énervent. Les bombardements de la région parisienne, la destruction des noeuds ferroviaires sont les signes précurseurs d'événement proches.

2 JUIN l944 - Le premier de ces quatre messages passe, immédiatement l'état d'alerte est donné à tous les camarades.

5 JUIN 1944 - Durant 25 minutes, la radio de LONDRES diffuse sans interruption des messages. Nous guettons les nôtre; les voici, enfin ! les trois derniers ! Ils nous annoncent le débarquement.

6 JUIN 1944 - Ca y est ! le débarquement a eu lieu en Normandie ! De la rue, du métro, des bureaux, des usines, une immense allégresse jaillit, les "Frisés" sont nerveux, les camions se couvrent de feuillage vert, les tanks " Tigre" sillonnent PARIS, un certain nombre se garent sur le Cours La Reine attendant la nuit pour partir.
Les nouvelles nous arrivent; les routes conduisant sur le nouveau front de l'Ouest sont bombardées sans interruption ainsi que toutes les voies de communication.

J'abandonne mes occupations professionnelles pour me consacrer entièrement et totalement à ma tâche.
Rendez-vous avec MARTIN, JO, BARAU, qui en ce jour de liesse devient BARBEX ( ex-barbu) résultat d'un pari; il devait couper sa barbé le jour du débarquement; sont là également VALENTIN, CHANTAL. Nous déjeunons gaiement, il y a longtemps que cela ne nous est pas arrivé.

Je prends rendez-vous pour le lendemain avec JO et avec BARBEX au métro Danube. BARBEX doit assurer la liaison avec l'État Major des F.F.I. dirigé par GILDAS avec qui nous avons eu jusqu'ici des contacts fréquents.
Je rends visite à mes chefs de secteurs et leur communique les dernières consignes; contact immédiat avec leurs sous-groupes, constitutions d'équipes pour la destruction des panneaux d'indications routières, se tenir prêt à toute éventualité et à exécuter les ordres que je serai amené à leur transmettre.

Je vois ensuite ROGER de la Police Municipale Parisienne qui doit assurer ma protection le lendemain au rendez-vous que j'ai pris avec P..., ex-policier arrêté avec ORESTE, relâché de Compiègne alors que ce dernier est déporté en Allemagne, ...est très douteux et je crains qu'il ne soit devenu un indicateur de la Gestapo ou bien qu'il ne soit suivi par elle ROGER se fera accompagné par deux de ses collègues et ils seront tous trois armés.

Je vois mon agent de liaison SYNEL et prends rendez-vous avec lui pour le lendemain 14h au métro Danube où nous retrouverons JO et BARBEX pour les ordres à transmettre.

Je communique à SYNEB mon adresse personnelle pour le cas où il arriverait des instructions très urgentes. C'est la première fois que je me départis de ma prudence, je devais m'en repentir dès le lendemain.

Les alliés ont pris pied en Normandie nous apprend la radio du soir. Le "Mur de l'Atlantique" n'a pas résisté au coup de boutoir des Anglo-Américains. Le matériel débarque; les chars entrent en action, en connection avec la marine et l'aviation.

MECREDI 7 JUIN 1944 - Vers 13h, je passe chez moi voir s'il y a du courrier ou si mon agent de liaison m'a apporté des instructions nouvelles. Deux mots de ce dernier me recommandent de me trouver à un rendez-vous avec P... vers 2Oh et m'apprennent que des agents de l'État-Major F. F. I. sont venus lui rendre visite.

Je remets à ma femme, avant mon départ, des jeux de cartes d'alimentations destinées aux réfractaires ainsi que divers papiers importants que j'ai sur moi et noua faisons route ensemble jusqu'à la Place du Danube; là je la quitte craignant de la compromettre.
Je vois SYNED, JO et BARBEX - SYNED m'apprend que deux messieurs, très bien mis, très corrects, sont venus chez lui (où se trouve ma boite aux lettres) ils se sont enquis de PIONNIER.- c'est mon pseudonyme - Le fait qu'ils ont cru, parlant à SYNED avoir affaire à moi indique qu'ils ne me connaissent pas personnellement. Ils ont prétendu être porteurs d'une communication urgente, ils sont partis en déclarant qu'ils reviendraient vers 17h.

Je donne mes instructions à SYNED : faire savoir aux mystérieux visiteurs que je serai au métro Danube à l'heure fixée, mais ne pas donner mon signalement, et nous nous séparons.
Je pars avec JO et BARBEX à pied. BARBEX m'apprend que l'État-Major F. F. I., GILDAS en tête, dénoncé par un agent de liaison qui faisait le double jeu ont été arrêtés le samedi précédent.

Noue entrons dans un café, immédiatement j'avise SYNED que j'annule tous mes rendez-vous pour la journée; Je quitte mes compagnons et continue la tournée de mes chefs de groupes.

Vers le soir, je retourne aux Buttes-Chaumont; au lieu de descendre comme d'habitude à Danube, je sors du métro à. la station "Place des Fêtes" et m'en vais rôder vers la demeure de SYNED. Un pressentiment m'avertit qu'il y a du louche dans l'air. Je me rends chez l'un de ses voisins, membre de notre Groupe. Sa femme me dit qu'il y a du danger et que je trouverai son mari, plus loin, je le vois et il m'annonce que SYNED a été arrêté et que la Gestapo est chez moi qui m'attends.

J'essaie de toucher mon beau-frère par téléphone, pas de réponse ... je rôde dans les alentours et près de chez moi, je rencontre Pascal GROFF un jeune voisin qui bat le quartier à ma recherche afin de me faire savoir ce qui m'attend; je lui demande de dire à mon beau-frère que je vais chez un ami à 50 mètres de là et qu'il faut empêcher ma femme de rentrer; à cette heure plusieurs voisins nous guettent pour nous alerter. Bel exemple de solidarité.

Peu après mon arrivée chez mon ami, un coup de sonnette retentit. Est-ce la police ou une visite amie ? C'est mon beau-frère tout ému qui m'annonce que six inspecteurs de la Gestapo attendent chez moi, échelonnés dans l'escalier et que six autres sont au métro.

A la maison, ils demandent les papiers à tous les locataires et ils connaissent mon véritable nom.
Nous convenons de me rendre chez ma mère, rue du télégraphe, en passant par un chemin différent. Mon beau-frère monte le premier et me fait signe qu'il n'y a pas de danger. Je retrouve toute ma famille réunie. Ma femme est là. Dieu soit loué ! Ils ne l'auront pas non plus, nous les avons gagnés de vitesse. Je dîne très légèrement et repars seul, cette fois dans le15ème arrondissement, rue de la Convention, où je me ferai héberger par ma soeur et son mari. En route, je préviens JO par téléphone que je suis très malade et que le docteur recommandé de changer d'air et d'aller à la campagne. Il a compris, le danger est écarté de ce côté, c'est l'essentiel, la liaison sera assurée quand même.

Pendant dix jours je resterai enfermé dans une chambre de bonne au 5ème étage, en attendant d'avoir de faux papiers me permettant de sortir et de reprendre mon activité.

(à suivre )